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lundi 29 juin 2009

Extraits de Sur la route de Jack Kerouac (1)

Sur la route de Jack Kerouac: un livre essentiel pour qui veut saisir le chemin parcouru depuis «cette route» jusqu'à celle de Cormac Mc Carthy. D'où venons-nous, où allons-nous? Je vous donne ici à lire douze extraits de la première partie de son roman, tirés de l'édition Gallimard, collection Folio Plus. Bonne lecture, et revenez pour lire d'autres extraits. (Photo ci-contre: Neal Cassidy et Jack Kerouac)

01. Avec l'arrivée de Dean Moriarty* commença le chapitre de ma vie qu'on pourrait baptiser «ma vie sur la route». Auparavant j'avais toujours rêvé d'aller dans l'Ouest pour voir le pays, formant toujours de vagues projets que je n'exécutais jamais. Pour la route Dean était le type parfait, car il est né, sur la route, dans une bagnole, alors que ses parents traversaient Salt Lake en 1926 pour gagner Los Angeles. (p.9, première page)
02. Mais alors ils s'en allaient [Dean et Carlo Marx*], dansant dans les rues comme des cloches dingues, je traînais derrière eux comme je l'ai fait toute ma vie derrière les gens qui m'intéressent, parce que les seuls gens qui existent pour moi les déments, ceux qui ont la démence de vivre, la démence de discourir, la démence d'être sauvés, la démence de jouir de tout dans un seul instant, ceux qui ne savent pas bâiller ni sortir un lieu commun, mais qui brûlent, qui brûlent pareils aux feux jaunes des chandelles romaines explosant comme des poêles à frire à travers les étoiles et, au milieu, on voit éclater le bleu du pétard et chacun fait: «Aaaah!» Quel nom donnait-on à cette jeunesse-là dans l'Allemagne de Goethe? (p.16)
03. (...) je voulais mieux connaître Dean (...) parce que, dans une certaine mesure, il me faisait penser à un frère que j'aurais perdu depuis longtemps. (p.18)
04. Un gars de l'Ouest, de la race solaire, tel était Dean. (p.20)
05. Quelque part sur le chemin je savais qu'il y aurait des filles, des visions, tout quoi; quelque part sur le chemin on me tendrait la perle rare. (p.20)
06. Ma tante approuvait tout à fait mon voyage dans l'Ouest; elle dit que cela me ferait du bien, que j'avais trop travaillé pendant tout l'hiver et trop vécu entre quatre murs; elle ne trouva mëme (sic) pas à redire lorsque je lui avouai que je partais plutôt à la cloche. Tout ce qu'elle souhaitait, c'était que je ne revienne pas trop en morceaux. Bref abandonnant mon gros manuscrit inachevé qui trônait sur mon bureau, refermant un matin mon lit douillet, je pris le large avec mon sac de toile où j'avais serré quelques objets indispensables et je mis le cap sur l'océan Pacifique avec mes cinquante dollars en poche**. (p.22)
07. (...) - j'étais loin de chez moi, obsédé et épuisé par le voyage, dans une chambre d'hôtel minable (...); je regardai le haut du plafond craquelé et réellement je ne sus plus qui j'étais pendant près de trente étranges secondes. Je n'étais pas épouvanté; j'étais seulement quelqu'un d'autre, un étranger, et ma vie entière était une vie magique, la vie d'un spectre. J'étais à mi-chemin de ma traversée de l'Amérique entre l'Est de ma jeunesse et l'Ouest de mon avenir, et c'est peut-être pourquoi cela m'est arrivé justement en et endroit et à cet instant, par cet étrange après-midi rougeoyant. (p.30)
08. Et, devant moi (il était à Frisco), c'était l'immense panse sauvage et la masse brute de mon continent américain; au loin, quelque part de l'autre côté, New York, sinistre, loufoque, vomissait son nuage de poussière et de vapeur brune. Il y a, dans l'est, quelque de brun et de sacré; mais la Californie est blanche comme la lessive sur une corde, et frivole - c'est du moins ce que je pensais alors. (p.122)
09. L'argent était là (au bureau télégraphique de la gare); ma tante me sauvait les fesses une fois de plus. (p.156)
10. J'ai cru que toute la sauvagerie américaine se trouvait à l'ouest jusqu'au moment de ma rencontre avec le Spectre de la Susquehanna [un col dans les Alleghanyhs] (p.162)
11. Le type qui me prit alors de sa bagnole était hâve et décharné, il croyait à l'action bienfaisante sur la santé d'une inanition contrôlée. Quand je lui dis, comme nous roulions vers l'Est, que je crevais de faim, il dit: «Parfait, parfait, rien de meilleur pour vous. Moi-même je n'ai pas mangé depuis trois jours. Je suis en route pour vivre cent cinquante ans.». Je dévorai le pain beurré [des sandwiches données par le type] (...). Tout à coup je me suis mis à rire. J'étais seul dans l'auto à l'attendre (...) et je ne pouvais m'arrêter de rire. Bon Dieu, que j'en avais marre de vivre. Le dingue me conduisit pourtant chez moi à New York. Tout à coup je me retrouvai à Times Square. J'avais parcouru huit mille milles à travers le continent américain et j'étais de retour à Times Square; et même en plein dans une heure de pointe, contemplant avec mes yeux naïfs de routier la démence absolue et la fantastique fanfaronnade de New York (...). (p.163)
12. En arrivant chez moi, je dévorai tout ce qu'il y avait dans la glacière. Ma tante se leva pour venir me voir. (...) Elle alla se coucher, mais moi tard dans la nuit, je ne dormais pas encore, je fumais dans on lit. Mon manuscrit à moitié rédigé était sur le bureau. Octobre la maison et de nouveau le travail. (p.165)
___* Dean Moriarty est le pseudonyme de Neal Cassidy. Celui-ci est, en fait, le héros du livre. Et, Jack Kerouac est le conteur et le témoin de leurs trois voyages entre 1946 et 1950. Carlo Max est le pseudonyme d'Allen Ginsberg, et celui de Jack Kerouac est Sal paradise.
___** Jack Kerouac recevait une pension d'ancien combattant, ayant servi dans la marine américaine , la US Navy.