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mardi 6 octobre 2009

Qui êtes-vous... Survenant? (3)

Qui êtes-vous... Survenant? (3). Descendant du Français Beauchemin dit Petit, bourlingueur, homme de chantier, coureur des bois, aux allures d'Indien, «Survenant» s'inscrit dans la filière américaine, à la suite de Jack London, «The Road», à titre de précurseur de Jack Kerouac, «On the Road». Cette route que fermera Cormac McCarthy avec «The Road». En examinant attentivement le personnage de Germaine Guèvremont, «Le Survenant», on discerne, aisément, son originalité et sa modernité. Mais qu'en est-il, vraiment, de sa part d'américanité?

Survenant: un beatnick

Laissons la parole à Germaine Guèvremont «Mon Survenant aurait pu être beatnick, lui aussi»*, dit-elle lors d'une entrevue au Petit Journal (1959). À la lumière du roman et des écrits consultés, on sait que cette affirmation n'est pas superficielle.

Hélène Destrempes et Jean Morency écrivent: « Reconnaissant ainsi le lien direct entre son personnage fétiche et la mouvance beat, elle ne manque pas d'inscrire la figure du Survenant dans un courant nord-américain dont il est en quelque sorte un précurseur ou du moins représentant. Son grand-dieu-des-routes, habité par la fièvre des départs et porté sur la dive bouteille, serait ainsi un proche parent, voire un précurseur de Jack Kerouac, dont le fameux roman On the Road date de 1957. Cette revendication de la modernité de la figure du Survenant comme du roman lui-même n'a rien de gratuit, du moment que l'on considère l'étendue de la culture livresque de Germaine Guèvremont, qui connaissait la lignée des auteurs dont l'œuvre de Jack kerouac était elle-même issue, à commencer par Jack London, John Steinbeck, Thomas Wolfe (...)».*

Les auteurs soulignent que Alfred Desrochers, dans les années '40, se «tourne vers la poésie américaine, qu'il a découverte avec ravissement dans des revues spécialisées venues des États-Unis.» Ils mentionnent que l'écriture de Germaine Guèvremont a été influencée par ses lectures de revues et d'auteurs américains, à l'appui de sa correspondance avec Alfred Desrochers. Ils mentionnent aussi «les échanges de plus en plus nombreux entre les citoyens de la belle province (le Québec) et leurs compatriotes exilés du «Québec d'en bas.» Notons que Pierre Anctil est l'auteur du texte «La Franco-Américanie ou le Québec d'en bas» (2007)

Je rappelle ici que Victor-Lévy Beaulieu (VLB), qui a guidé notre lecture de Jack Kerouc, traite abondamment du Québec d'en bas. [Son essai, intitulé «Jack Kérouac», a été publié aux Éditions Trois-Pistoles, en 2005]

Dans son roman. Germaine Guèvremont parle de l'Acayenne et du Québec d'en bas. Ces passages ont une résonance, car on sait que Jack Kerouac est un Franco-américain (un Canuk) dont les parents canadiens-français (aujourd'hui, on dirait québécois) catholiques ont émigré à Lowell, Massachussets, c'était...le Québec d'en bas.

__On te demande (Survenant) si t'as eu vent à Sorel du gros accident?
__ Quel accident?
__ Apparence que trente-quelques personnes ont péri dans une exposion (explosion) à la station des chars (trains) du Pacifique, à Montréal.
__ Ah oui! L'Acayenne m'en a soufflé mot (...)
(...)
__ Une personne de ma connaissance. [p.103].

Survenant: «L'Acayenne, de son vrai nom Blanche Varieur»
__«Mais d'où qu'elle sort pour qu'on l'appelle l'Acayenne?
Survenant: «Ah! elle vient de par en bas du Québec, de quelque part dans le golfe.» [p. 188].

Fin du voyage
À la lumière de ce qui a été dit, je n'hésite pas à inscrire Survenant dans la filière américaine, précurseur de Jack Kerouac. À la différence de celui-ci, il est un personnage, et non pas une personne. Mais sa nature complexe, et unique, lui donne un caractère humain indéniable. Il n'est pas étonnant que Survenant ait atteint le statut de mythe.

Je vous quitte sur ces deux belles déclarations d'amour. Celle de Survenant à Angélina, dans une scène d'adieu déchirante; et, celle de Germaine Guèvremont à «son» Survenant, magnifique!

«Si tu voulais, Survenant... Tendrement il emprisonna un moment dans les siennes les mains qui s'accrochaient à lui et y enfouit son visage.
D'une geste brusque, il se dégagea et, la voix enrouée, il dit: Tente-moi pas, Angélina. C'est mieux.» À grandes foulées, il se perdit dans la nuit noire.» [p. 196].


Plus qu'un homme, le Survenant est l'île de nostalgie, de déraison, d'inaccessible, d'inavouable
---et pourtant d'humain--- que chacun porte en soi.
L'ïle perdue.

Germaine Guèvremont

__
* Hélène Destrempes et Jean Morency, «Américanité et modernité dans le cycle du Survenant», à l'adresse...
Principales sources: «Le Survenant», Germaine Guèvremont, Bibliothèque québécoise, 1990, 219 pages, ainsi que la présentation du roman par Yvan G. Lepage, intitulée «Genèse d'un mythe», p.7-p.17.
Autres sources:
__ Pierre Anctil, «La Franco-Américanie ou le Québec d'en bas», erudit.org
__ L'article de Thomas Flamarion, «Cent ans sous les semelles: Trilogie de l'asphalte: London, Kerouac, Mc Carthy», qui a inspiré ma démarche.
__ Victor-Lévy Beaulieu (VLB), «Jack Kérouac», Éditions Trois-Pistoles, en 2005.
Rappel: La traduction anglaise qui aura pour titre: «Monk's Reach» (1950). En américain, le titre sera «The Outlander» (1950). En France, «Le Survenant» sera publié chez Plon, coll. «L'Épi», dirigée par le philosophe et écrivain Gabriel Marcel (1946)

samedi 3 octobre 2009

Qui êtes-vous... Survenant? (2)

Qui êtes-vous... Survenant? (2) «Survenant», personnage du roman «Le Survenant» de Germaine Guèvremont, est un précurseur de Jack Kerouac. Ce n'est pas rien! C'est un homme moderne qui s'inscrit dans la filière américaine formée, dorénavant, de Jack London, «The Road»; de Germaine Guèvremont, «Survenant» ; de Jack Kerouac, «On the Road»; de Cormac McCarthy, «The Road».

Lisons, liserons! Lisons ce roman, un classique de la littérature québécoise, d'un œil nouveau. «Tout le monde en parle», mais qui a lu «Le Survenant», d'une couverture à l'autre. Pour penser, dire, répéter, à tout vent et à tout venant, «c'est un roman du terroir»... c'est le réduire à sa portion congrue (L'avez-vous lu? Avez-vous sauté des pages? Ah! Ah! vous n'avez pas lu mon blogue...). Oui, il y a de «ça»... mais pas seulement «ça» (et le «ça» n'est pas le béret de Roland Barthes). «Survenant»: c'est lui qui est le pivot du roman, c'est sur lui que repose le roman; sans lui, le roman tombe à plat. Nevermind! dirait Survenant, je m'en vas ailleurs... « (...) pas même le temps de changer de hardes et je pars.» Survenant, un homme libre...

Qui êtes-vous... Survenant?
Survenant est un personnage à facettes: bourlingueur, homme de chantier et coureur des bois, aux allures d'Indien. Je poursuivrai, et terminerai en beauté, son portrait. En commençant, comme il se doit, par vous exposer «ma petite idée»...

Descendant du Français Beauchemin dit Petit
Dans les écrits. J'ai cherché, mais je n'ai pas trouvé d'écrits appuyant cette filiation du Survenant. Filiation tout à fait plausible que j'ai déduite du roman lui-même. Laissons donc «parler» le roman. [p.155 à p.158]

Dans le roman: Survenant s'adresse au père Didace: «Beauchemin... c'est comme rien, le premier du nom devait aimer les routes?»
Didace lui répond: «T'as raison, Survenant. Les premiers Beauchemin de notre branche tenaient pas en place. Ils étaient deux frères, un grand, un petit: mieux que deux frères, des vrais amis de cœur. Le grand s'appelait Didace. Le petit j'ai jamais réussi à savoir son petit nom. (...) Ils venaient des vieux pays. L'un et l'autre avaient quitté père, mère et patrie, pour devenir son maître et refaire sa vie. Ah! quand il s'agissait de barauder de bord en bord d'un pays, ils avaient pas leur pareil à des lieues à la ronde. (...) Ils sont arrivés au chenal, tard, en automne, avec, pour tout avoir, leur hache, et leur paqueton sur le dos. Et dans l'idée de repartir au printemps. Seulement pendant l'hiver, le grand s'est épris si fort d'amitié pour une créature qu'il a jamais voulu s'en retourner. (...) Il s'est donc marié, et c'est de même qu'on s'est enraciné au Chenal du Moine».

Alors, Survenant se mit à chantonner une vieille complainte, que Didace entonna à son tour. «Puis il (Didace) continua à raconter:
__ Tout ce qu'on a su de lui, c'est que, par vengeance, il a jamais voulu porter le nom de Beauchemin: Il s'est appelé Petit.
__ Petit! s'exclama le Survenant. Pas Beauchemin dit Petit.
__ Sûrement. Quoi c'est qu'il y a d'étrange là-dedans?
__ Ça me surprend parce qu'il y a eu des Petit dans notre famille.»

«Sa grand-mère était une Petit. Serait-il du même sang que les Beauchemin? À cela rien d'impossible. (...). Il (Survenant) se perdit en réflexions: "Pour refaire sa vie et devenir son maître": c'est ainsi que si peu de Français, par nature casaniers, sont venus s'établir au Canada, au début de la colonie, et que le métayage est impossible au pays. Celui qui décide de sortir complètement du milieu qui l'étouffe est toujours un aventurier. Il ne consentira pas à reprendre ailleurs le joug qu'il a secoué d'un coup sec. Le Français, une fois Canadien, préférerait exploiter un lot de la grandeur de la main qu'un domaine seigneurial dont il ne serait encore que le vassal et que de toujours devoir à quelqu'un foi, hommage et servitude. À son insu, il venait de penser tout haut. Didace n'en fit rien voir. Rempli d'admiration et de respect pour une si savante façon de parler, il écouta afin d'en entendre davantage, mais le Survenant se tut.»

En somme, ce passage est si éloquent qu'il se passe de commentaires. Cependant, il pourrait éclairer la réponse sibylline de Survenant à Amable au sujet de son habilité à réparer des raquettes -moyen de déplacement des Indiens pour marcher dans la neige épaisse.
__ De qui c'est que t'as appris ça, Survenant? lui demanda Amable.
__ De personne. Mon père, mon grand-père, mon arrière-grand-père l'ont appris pour moi. [p.119]

Ce passage pourrait répondre à cette question, toute simple: «De qui peut-il bien retenir (avoir des traits de ressemblance) pour avoir la bougeotte comme ça. Il ne tient pas en place!» Il... Survenant pourrait bien retenir de son ancêtre, Beauchemin dit Petit, venu de France....
Son arrière-grand-père a, probablement, côtoyé des Indiens -des Hurons, des Montagnais- de qui il aura appris beaucoup de choses... confectionner et réparer des raquettes, courir les bois, vivre en accord avec la nature, respirer un air de liberté... Il me semble que «ma petite idée» tient debout... sans avoir à s'appuyer sur un arbre...

Survenant est un personnage complexe et dense, tiraillé par des tensions intérieures.
Yvan G. Lepage écrit: « Le Survenant est un personnage infiniment complexe. Il a beau porter un mackinaw, avoir connu les chantiers et passer pour un «sauvage», il n'en demeure pas moins un homme éminemment moderne. Certes, il ne dédaigne pas la nature, mais c'est la ville qui l'attire, avec ses hôtels et ses plaisirs». [p.13]

Dans mon billet précédent, j'ai établi que Survenant est un coureur des routes, tout comme Jack London «The Road» et Jack Kerouac «On the Road». En cernant de plus près la «personnalité» de Survenant, nous arrivons à saisir pleinement son originalité et sa modernité. On sait que Jack Kerouac est un Canuck qui s'est américanisé, dans une certaine mesure, car il est demeuré essentiellement lui-même, dans sa vie comme dans ses livres, lesquels s'interpénétraient. Survenant, lui, aurait-il une part d'américanité?

Je répondrai à cette question dans mon prochain billet, qui marquera la fin de notre voyage. C'est un rendez-vous...

À très bientôt!

__
* Présentation par Yvan G. Lepage, intitulée «Genèse d'un mythe», p.7-p.17, du roman «Le Survenant» de Germaine Guèvremont, Bibliothèque québécoise, 1990, 219 pages.
**La traduction anglaise aura pour titre: «Monk's Reach» (1950). En américain, le titre sera «The Outlander» (1950). En France, «Le Survenant» sera publié chez Plon, coll. «L'Épi», dirigée par le philosophe et écrivain Gabriel Marcel (1946)
*** Hélène Destrempes et Jean Morency, «Américanité et modernité dans le cycle du Survenant», à l'adresse...
__ Pierre Anctil, «La Franco-Américanie ou le Québec d'en bas», erudit.org
Rappel: L'article de Thomas Flamarion, «Cent ans sous les semelles: Trilogie de l'asphalte: London, Kerouac, Mc Carthy», a inspiré ma démarche.

mercredi 16 septembre 2009

Survenant - Un coureur des routes

Survenant - Un coureur des routes. Pour savoir si Survenant, personnage pivot du roman «Le Survenant» de Germaine Guèvremont, s'inscrit dans la filière américaine «des coureurs des routes», il faut répondre à la question préalable: Survenant est-il, tout simplement, un quêteux qui parcourt les routes de la campagne du Québec au XIXe siècle? Un phénomène tout à fait courant. Si la réponse est affirmative, l'affaire est classée. Sinon, la première question demeure entière et exige un examen.

Bref rappel
La filière américaine comprend 3 auteurs incontournables: Jack London, «The Road»; Jack Kerouac, «On the Road», et Cormac McCarthy, «The Road», qui ferme la route sans issue -Dead end- avec ses personnages sans nom, l'homme et l'enfant. À 50 ans d'intervalle, ces trois grands auteurs nous racontent la vie sur la route. Avec Survenant, nous arrivons,à présent, au terme de notre «vagabondage» dans les livres.

Survenant n'est pas un quêteux.
De toute évidence, ce personnage romanesque ne correspond pas à la description du «quêteux» de métier, comme je l'ai décrit dans mon billet du 11 août 2009 (oui, la page existe). Bien sûr, il partage avec eux le goût de la liberté, le désir de ne pas s'attacher, de parcourir les routes. Comme eux, il raconte des histoires, il chante, il joue d'un instrument (piano et harmonium, alors que le quêteux joue de l'harmonica). Comme eux, il attire les gens d'alentour qui s'empressent de venir à la veillée.

Cependant, ces points communs ne sont pas suffisants pour faire de Survenant un quêteux. J'en veux pour preuve que Jack London et Jack Kerouac partagent, chacun à sa manière et en son temps, ces mêmes points communs. Ce qui, cela va de soi, n'en fait pas, pour autant, des «quêteux». Ils sont des «coureurs des routes».

Jack London, Jack Kerouac et Survenant ne quêtent pas. Mais, ils peuvent, à l'occasion, demander à manger. par exemple:
__ «Il (Survenant) frappe à la porte des Beauchemin qui s'apprêtaient à souper (...). C'était un étranger de bonne taille, jeune d'âge, paqueton au dos, qui demandait à manger». [p. 19]. Ce sera la première et dernière fois.

__ Jack London, tenaillé par la faim, ruse afin qu'on lui donne à manger. Dans son chapitre «Confession», il s'en explique.
«There a woman in the state of Nevada [Reno] to whom I once lied continuously, consistenly, and shamelessly, for the matter of a couple of hours. I don't want to apologize to her. Far be it from. But I do want explain. Unfortunately, I do not know her name, much less her present address. If her eyes should chance upon these lines, I hope she will write to me. (...). It was the hungry hoboes that made the town a "hungry" town [Il fait référence à l'«armée» de chômeurs du «général» Kelly]. They "battered" the back doors of the homes of the citizens until the back doors became unresponsive. (...). I was hungry (...). At the first glimpse of her kindly face I took my cue. I became a sweet, innocent, unfortunate lad. [Bref, il joue la comédie à cette femme afin de l'attendrir pour qu'elle lui donne à manger; ce qu'elle fera].

__Jack kerouac, lui, lorgne le lunch d'un bon samaritain: «Le type qui me prit à bord de sa bagnole était hâve et décharné, il croyait à l'action bienfaisante sur la santé d'une inanition contrôlée. Quand je lui dis, comme nous roulions vers l'Est, que je crevais de faim, il dit: "Parfait, rien de meilleur pour vous. Moi-même je n'ai pas mangé depuis trois jours. Je suis en route pour vivre cent cinquante ans". Je dévorai [des sandwiches donnés, enfin, par le type] (...). Tout à coup, je me suis mis à rire. J'étais seul dans l'auto à l'attendre (...) et je ne pouvais m'arrêter de rire.»

Il arrive que le quêteux travaille une journée ou deux pour l'habitant en échange de sa nourriture. Mais, il dort sur ou dans le banc de quêteux -jamais dans un lit- ou dans la grange. Ce n'est pas le cas de Survenant. Il offre ses services d'homme engagé au père Didace Beauchemin: «Si vous voulez me donner à coucher et à manger [et un peu de tabac], je resterai. Je vous demande rien de plus. Par même une taule. Je vous servirai d'engagé. (...)» [p.21-p.22]. Par un geste, le père Beauchemin accepte. Survenant occupera une chambre dans la maison, boira avec le gobelet, et se lavera au lavabo.

Lorsque, un peu plus tard, le père Didace fera allusion à la rareté de l'ouvrage, Survenant lui dira promptement: «Écoutez le père Beauchemin, vous et vos semblables. Prenez moi (sic) pas pour un larron ou pour un scélérat des grands bois. (...) Partout où je passe, j'ai coutume de gagner mon sel, puis le beurre pour mettre dedans (sic). Je vous ai offert de me garder moyennant asile et nourriture. Si vous avez pas satisfaction, dites-le: la route est proche. De mon bord, si j'aime pas l'ordinaire (la nourriture), pas même le temps de changer de hardes et je pars.» (...) «Reste le temps qu'il faudra», lui répond le père Didace Beauchemin. [p.43-p.44].

Il ne viendrait pas à l'idée d'aucun habitant de traiter un quêteux comme on traitait Survenant. D'ailleurs, ni Amable (le fils) ni Alphonsine (la belle-fille), qui ne peuvent pas le blairer et se montrent mesquins, ne le traitent comme un quêteux. Ils voient en lui un homme engagé. Il en est de même pour les gens du Chenal-du-Moine y compris ceux qui le détestent.
«De jour en jour, pour chacun d'eux (les gens du Chenal), il devient le Venant à Beauchemin [sans qu'Amable proteste]. Le père Beauchemin ne jure que par lui. L'amitié bougonneuse d'Alphonsine (manifestée plus tard) ne le lâche pas. [Le chien] le suit mieux que son maître.» Pour tous, il fait partie de la maison. Il y restera une année.

En terminant...
J'espère vous avoir convaincu: Survenant n'est pas un quêteux, comme on le dit et le répète à tout vent. À défaut, probablement, d'une perspective plus large... et d'aller voir du côté des écrivains américains.

Il reste à savoir ce qu'il est... Il reste à savoir s'il s'inscrit dans la filière américaine...
Ce sera l'objet de mon prochain billet, sous peu... Il me faut accélérer la cadence, des livres attendent leur tour avec impatience.
À bientôt donc!

samedi 13 juin 2009

The Road. La filière américaine. Dead end. (3)

Se suivent dans la filière américaine, à 50 ans d'intervalle, Jack London et Jack Kerouac. Tous deux ont pris la route et parcouru les États-Unis d’Amérique, au gré des rencontres et des moyens de déplacement. Deux sans-le-sou avides de découverte. Tous deux, conteurs et personnages de leurs propres aventures, pour ne pas dire de leur «vécu». Dans le roman The Road, de Cormac McCarthy, 50 ans après Jack Kerouac, deux personnages se mettent en route –l’auteur, lui, ne prend pas la route comme ses prédécesseurs.

Ils n’ont pas choisi la route, ils ne courent pas à l’aventure, ils veulent, simplement, survivre. Finie l’insouciante jeunesse! Finies les «folleries»! La [dernière] Route mène à l’impasse. Dead end. Mais quelle route? À l’époque de Jack London, on réclamait des routes, à celle de Jack Kerouac, on roulait sur les routes. Depuis une épouvantable catastrophe qui a frappé le pays, il n’y en a plus de routes, plus de «Highways», de US Route 66, orgueil des Américains. Plus de trains, plus d’autos. RIEN. Il n’y a plus rien : tout est calciné, les maisons et les commerces sont vides. Des morts ici et là. Plus personne, c’est «vide de monde». Si… mais ce sont des «mangeurs d’hommes», des anthropophages… des hordes qui commettent les pires exactions: des «méchants». Il n’y aura pas de «gentils».

Dans ce roman, il n’y a plus de héros, que l’homme et l’enfant, le papa et son petit, sans visage, sans identité. Ils marchent sur un épais tapis de cendres. Ils avancent péniblement poussant un charriot rempli d’objets hétéroclites, une lanterne, une bâche en plastique, des couvertures. Ils cherchent de la nourriture, mangeant ce qu’il trouve et évitant d’être mangés… Le froid, l’humidité, la faim, la peur au ventre –toujours creux- les assaillent. Ils sont délabrés, ils sont sales, ils sentent mauvais. Dans un état pire que celui des «hoboes»…

Ils se dirigent vers le sud pour rejoindre la mer.
Leur seule planche de salut. Leur seule espérance, symbolisée par le bleu azur de cette mer qu'ils verront, enfin..., tranchant sur les jours sombres, et les nuits noires. C’est si peu demandé… et c’est si durement gagné. Hélas, trois fois hélas, ils aboutiront sur un sinistre rivage, battu par les vents, balayé par un puissant ressac, face à une mer hostile couleur d’encre. Coincés, sans retour, au fond d’une impasse. Dead end.

Réclamer, bâtir, détruire: en trois générations.
Celle de Jack London, celle de Jack Kerouac, et la nôtre avec son incurie. Si la tendance se maintient… une catastrophe pourrait bien se produire. McCarthy serait-il un visionnaire? Nous sert-il un coup de semonce? La terre n’a pas besoin de l’homme pour continuer, c’est le contraire! «Nous souhaitons tous, dit Hubert Reeves, que les êtres humains prennent en main leur propre sort pour arrêter cet engrenage de la détérioration.»

La «non-histoire», si je puis dire ainsi, est rendue par une écriture qui la répercute et l'amplifie. Et qui accentue sa charge émotionnelle. Une écriture sèche, saccadée. Des phrases courtes, à bout de souflle. Des dialogues brefs, répétitifs. Le texte dégage une musique a cappella, scandée comme une litanie.

Les deux «pénitents» s'avancent couverts de cendres, victimes expiatoires des destructeurs de leur monde. Au bout de leur horrible «pélerinage», ils paieront de leur vie ce que d'autres ont détruit avant eux.
Un lourd tribut exigé de la part d'un enfant innocent, qui ne sait rien du monde d'avant, du monde du gaspillage, de l'écurie et de la violence. Un enfant qui ne verra pas la mer bleu azur...

mercredi 10 juin 2009

On the Road... again. La filière américaine (2)

Jack London publiait en 1907, The Road. Cinquante ans plus tard, en 1957, Jack Kerouac publiait On the Road, écrit entre 1948-1956. Ce titre même est un hommage à son prédécesseur, le «Pionnier de la Route». Il adoptera le même prénom, Jack. Son véritable prénom est Jean-Louis; pour sa mère, vers qui il reviendra sans cesse, il est et restera «Ti-Jean». Son patronyme est Kérouac, avec l’accent aigu…

Jack London avait rédigé un carnet de notes qui lui a servi pour The Road; c’est avec ce premier roman qu’il débute sa carrière littéraire, qu’il se découvre écrivain. Une carrière prolifique! Jack Kerouac, quant à lui, avait déjà publié un roman en 1950, The Town and the City -Avant la route- salué par la critique. Sa carrière était donc amorcée, et il savait depuis toujours, pour ainsi dire, qu’il serait un écrivain.
L’«armée» de chômeurs et de laissés-pour-compte du «général» Kelly , que London rejoignit , réclamait des routes… et du travail.

Kerouac, lui, errait sur les routes américaines dont la mythique 66 reliant Chicago à Los Angeles, se déplaçant en auto-stop, mais aussi montant à bord de wagons de marchandises comme London.
Les temps ont changé, mais la jeunesse reste éprise de liberté, et du désir de prendre le large. Inscrits dans la même filière américaine, les deux Jack sont des vagabonds, des marginaux des «tramps», des «bums». Tous deux racontent leur errance, leurs amitiés et rencontres, leurs émotions et réflexions. London met en scène Jack-the-Sailor, son double; et Kerouac, Dean Moriary, nul autre que Neal Cassidy, et Sal Paradise, son double. Le contenu de l’un est plutôt «soft», et celui de l’autre est plutôt «hard»-surtout, il va sans dire, le texte original, non épuré. London écrit en slang , dans un style parlé, spontané, familier, alors que Kerouac raconte, romance, dans un tempo jazz, en battant la mesure, dans un style personnel. Ce beat résonnera à l’oreille et au cœur de la génération d’après-guerre.

The Road touchera des millions de lecteurs. Il inspirera toute une jeunesse qui prendra la route, le livre sous le bras. C’est une œuvre majeure de la littérature américaine, d’une originalité sans pareille. Elle marquera toute une génération nommée la «Beat Generation». J’y reviendrai dans un autre billet.
Dans le prochain, ce sera Cormac McCarthy qui terminera la trilogie.

vendredi 5 juin 2009

On the Road. La filière américaine (1)

Dans le billet précédent, je vous proposais de lire d'abord l'essai de Victor-Lévy Beaulieu sur Jack Kerouac avant de lire le roman de celui-ci, On the Road-Sur la route. Pourquoi donc? Il m'apparaît essentiel de situer ce roman dans la filière américaine et dans l'oeuvre de l'auteur afin d'en saisir toute la portée.
Dans la filière américaine: trois auteurs, trois livres incontournables. Le premier à prendre la route est Jack London; son livre: The Road. Jack Kerouac suivra quelque 50 ans plus tard avec On the Road -titré ainsi en hommage à Jack London. Et aujourd'hui, c'est Cormac McCarthy qui, avec The Road, prend le chemin de l'apocalypse avec ses deux personnages, père et fils, une véritable déroute. Et... mes billets, qui se suivront à la file indienne, seront autant de bornes sur le chemin de la lecture.


Jack London. En 1907, il publie The Road. C'est le récit des aventures et des vagabondages de Jack-le-matelot -un double de l'auteur-, récit inspiré de faits authentiques. En effet, en mai 1893, une «armée industrielle», soit un groupe formé de millers de chômeurs et de laissés-pour-compte confrontés à une sévère crise économique, marche sur Washington. Commandée par le «général» Kelly, cette «armée» veut forcer le gouvernement à construire des routes à travers le pays. Sans le sou, les chômeurs montent, illégalement, dans des wagons de marchandises. Parmi ceux-ci, Jack London qui eu l'idée de tenir un journal de bord, un inédit est publié sous le titre Carnet du Trimard par les Éditions Tallandier, en 2007.

Toutefois, il quitte le groupe de chômeurs peu après pour vagabonder, et mener une vie de «hobo», jusqu'à son arrestation à Niagara Falls, en juin 1984, et son dur séjour dans une prison de Buffalo. S'appuyant sur son carnet de bord, expériences et vagabondages, Jack London écrivit On the Road, quatorze ans plus tard. Il venait ainsi d'entrer en littérature et d'opter pour le socialisme. Le vent de liberté, le goût de prendre la route, la sensibilité à la misère et à l'injustice sociale dont est empreint On the Road marqueront les esprits et inspireront la jeunesse revendicatrice, et Jack Kerouac...

On peut lire le livre au complet, composé de 9 articles, sur le site:http://london.sonoma.edu/Writings/TheRoad/index.html.

Je vous en donne un avant-goût dans le billet qui suit. A+! Bye!
____
Psitt! Des vieux termes pour exprimer des choses, alors nouvelles, révolutionnaires même. Trimard (de trimer): une route, un chemin. Trimarder, vagabonder sur les routes. Trimardeur, un nomade, un vagabond. Merci, cher Petit Robert!