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mercredi 16 septembre 2009

Survenant - Un coureur des routes

Survenant - Un coureur des routes. Pour savoir si Survenant, personnage pivot du roman «Le Survenant» de Germaine Guèvremont, s'inscrit dans la filière américaine «des coureurs des routes», il faut répondre à la question préalable: Survenant est-il, tout simplement, un quêteux qui parcourt les routes de la campagne du Québec au XIXe siècle? Un phénomène tout à fait courant. Si la réponse est affirmative, l'affaire est classée. Sinon, la première question demeure entière et exige un examen.

Bref rappel
La filière américaine comprend 3 auteurs incontournables: Jack London, «The Road»; Jack Kerouac, «On the Road», et Cormac McCarthy, «The Road», qui ferme la route sans issue -Dead end- avec ses personnages sans nom, l'homme et l'enfant. À 50 ans d'intervalle, ces trois grands auteurs nous racontent la vie sur la route. Avec Survenant, nous arrivons,à présent, au terme de notre «vagabondage» dans les livres.

Survenant n'est pas un quêteux.
De toute évidence, ce personnage romanesque ne correspond pas à la description du «quêteux» de métier, comme je l'ai décrit dans mon billet du 11 août 2009 (oui, la page existe). Bien sûr, il partage avec eux le goût de la liberté, le désir de ne pas s'attacher, de parcourir les routes. Comme eux, il raconte des histoires, il chante, il joue d'un instrument (piano et harmonium, alors que le quêteux joue de l'harmonica). Comme eux, il attire les gens d'alentour qui s'empressent de venir à la veillée.

Cependant, ces points communs ne sont pas suffisants pour faire de Survenant un quêteux. J'en veux pour preuve que Jack London et Jack Kerouac partagent, chacun à sa manière et en son temps, ces mêmes points communs. Ce qui, cela va de soi, n'en fait pas, pour autant, des «quêteux». Ils sont des «coureurs des routes».

Jack London, Jack Kerouac et Survenant ne quêtent pas. Mais, ils peuvent, à l'occasion, demander à manger. par exemple:
__ «Il (Survenant) frappe à la porte des Beauchemin qui s'apprêtaient à souper (...). C'était un étranger de bonne taille, jeune d'âge, paqueton au dos, qui demandait à manger». [p. 19]. Ce sera la première et dernière fois.

__ Jack London, tenaillé par la faim, ruse afin qu'on lui donne à manger. Dans son chapitre «Confession», il s'en explique.
«There a woman in the state of Nevada [Reno] to whom I once lied continuously, consistenly, and shamelessly, for the matter of a couple of hours. I don't want to apologize to her. Far be it from. But I do want explain. Unfortunately, I do not know her name, much less her present address. If her eyes should chance upon these lines, I hope she will write to me. (...). It was the hungry hoboes that made the town a "hungry" town [Il fait référence à l'«armée» de chômeurs du «général» Kelly]. They "battered" the back doors of the homes of the citizens until the back doors became unresponsive. (...). I was hungry (...). At the first glimpse of her kindly face I took my cue. I became a sweet, innocent, unfortunate lad. [Bref, il joue la comédie à cette femme afin de l'attendrir pour qu'elle lui donne à manger; ce qu'elle fera].

__Jack kerouac, lui, lorgne le lunch d'un bon samaritain: «Le type qui me prit à bord de sa bagnole était hâve et décharné, il croyait à l'action bienfaisante sur la santé d'une inanition contrôlée. Quand je lui dis, comme nous roulions vers l'Est, que je crevais de faim, il dit: "Parfait, rien de meilleur pour vous. Moi-même je n'ai pas mangé depuis trois jours. Je suis en route pour vivre cent cinquante ans". Je dévorai [des sandwiches donnés, enfin, par le type] (...). Tout à coup, je me suis mis à rire. J'étais seul dans l'auto à l'attendre (...) et je ne pouvais m'arrêter de rire.»

Il arrive que le quêteux travaille une journée ou deux pour l'habitant en échange de sa nourriture. Mais, il dort sur ou dans le banc de quêteux -jamais dans un lit- ou dans la grange. Ce n'est pas le cas de Survenant. Il offre ses services d'homme engagé au père Didace Beauchemin: «Si vous voulez me donner à coucher et à manger [et un peu de tabac], je resterai. Je vous demande rien de plus. Par même une taule. Je vous servirai d'engagé. (...)» [p.21-p.22]. Par un geste, le père Beauchemin accepte. Survenant occupera une chambre dans la maison, boira avec le gobelet, et se lavera au lavabo.

Lorsque, un peu plus tard, le père Didace fera allusion à la rareté de l'ouvrage, Survenant lui dira promptement: «Écoutez le père Beauchemin, vous et vos semblables. Prenez moi (sic) pas pour un larron ou pour un scélérat des grands bois. (...) Partout où je passe, j'ai coutume de gagner mon sel, puis le beurre pour mettre dedans (sic). Je vous ai offert de me garder moyennant asile et nourriture. Si vous avez pas satisfaction, dites-le: la route est proche. De mon bord, si j'aime pas l'ordinaire (la nourriture), pas même le temps de changer de hardes et je pars.» (...) «Reste le temps qu'il faudra», lui répond le père Didace Beauchemin. [p.43-p.44].

Il ne viendrait pas à l'idée d'aucun habitant de traiter un quêteux comme on traitait Survenant. D'ailleurs, ni Amable (le fils) ni Alphonsine (la belle-fille), qui ne peuvent pas le blairer et se montrent mesquins, ne le traitent comme un quêteux. Ils voient en lui un homme engagé. Il en est de même pour les gens du Chenal-du-Moine y compris ceux qui le détestent.
«De jour en jour, pour chacun d'eux (les gens du Chenal), il devient le Venant à Beauchemin [sans qu'Amable proteste]. Le père Beauchemin ne jure que par lui. L'amitié bougonneuse d'Alphonsine (manifestée plus tard) ne le lâche pas. [Le chien] le suit mieux que son maître.» Pour tous, il fait partie de la maison. Il y restera une année.

En terminant...
J'espère vous avoir convaincu: Survenant n'est pas un quêteux, comme on le dit et le répète à tout vent. À défaut, probablement, d'une perspective plus large... et d'aller voir du côté des écrivains américains.

Il reste à savoir ce qu'il est... Il reste à savoir s'il s'inscrit dans la filière américaine...
Ce sera l'objet de mon prochain billet, sous peu... Il me faut accélérer la cadence, des livres attendent leur tour avec impatience.
À bientôt donc!

mardi 11 août 2009

Survenant est-il un quêteux?

Certains auteurs de textes, publiés sur Internet, affirment sans ambages que Le Survenenant est un quêteux. Pour eux, cela semble aller de soi. Précisons: Le Survenant est le titre du roman de Germaine Guèvremont, et Survenant ou le Survenant désigne le nom du personnage principal. Cette clarification n'est en rien byzantine, car elle permet d'éviter des ambiguïtés dans le discours. Cela posé, abordons de front la question: Survenant est-il un quêteux, sans rapport avec Jack London ou Jack Kerouac, s'inscrivant dans le paysage du Québec vers les années 1909-1910?

Le quêteux est un mendiant. À la belle saison, il parcourt la campagne demandant le gîte et le couvert aux «habitants». Il leur demande l'aumône «pour l'amour de Dieu». Sales et pouilleux, on les fait dormir soit dans le «banc du quêteux», soit dans la grange - et on prie le Ciel pour qu'il n'y mette pas le feu. Même les pauvres lui donnent à manger et, bien souvent, il repart avec quelques victuailles. En retour, certains aident durant un ou plusieurs jours aux travaux de la ferme. D'autres reprennent la route avec un «Dieu nous bénisse» ou un «Dieu vous le rendra».

Le quêteux est une vraie «gazette». Il colporte les nouvelles d'un village à l'autre, d'une maison à l'autre. Mariage, naissance, décès, incendie, accident... tout y passe. Au plus fiable, on confie des lettres ou des messages verbaux, à l'image d'Olivier Chouinard, dans le roman de Louis Fréchette. Un homme de confiance, simple, un illettré qui livrait les lettres ou colis qu'on lui confiait, un facteur avant la lettre... Un personnage haut en couleur ayant réellement existé, ce quêteux parcourait le territoire du Bas-du-fleuve, en toutes saisons.*

Le quêteux pouvait s'adonner au commérage, répandant des ragots... peu charitables. En verve, et peu scrupuleux, il n'hésite pas à faire bruire la maison de l'habitant «de cent médisances, ragots et calomnies». En général, toutefois, le quêteux se contente de rapporter les nouvelles d'une maison à l'autre, d'un village à l'autre. Il raconte des histoires, des contes, en y mettant son grain de sel: cent fois racontés, cent fois réinventés. Il chante ou joue de l'harmonica - de la «ruine-babines». Il désennuie la maisonnée à laquelle se joignent, parfois, des voisins qui viennent veiller comme chez les Beauchemin, dans Le Survenant.

À l'opposé, il y a le «mauvais quêteux. Effronté, grossier, vicieux même, il tente de faire la loi. La femme et les enfants seuls à la maison en ont une peur bleue, et pour cause. Celui-là est mécontent de tout ce qu'on lui offre, en exige davantage et du meilleur. Il leur lance des injures et les menace. Il va jusqu'à jeter des sorts pour effrayer les gens -souvent superstitieux- de la maison.
C'est le type du quêteux crasseux, pouilleux, hargneux, ivrogne, souvent ivre, toujours violent. Celui-là, on cherche à s'en débarrasser au plus vite, ou bien on le chasse manu militari, si cela est possible. On le redoute, car on craint une vengeance, par exemple qu'il revienne sournoisement pour mettre le feu aux bâtiments.

Parmi les quêteux, on peut distinguer deux groupes. Le «quêteux de métier» qui correspond, somme toute, au portrait que je viens d'esquisser. Pour lui, parcourir «le pays» est un mode vie. Il ressemble à Jambe-de-bois dans «Les belles histoires des Pays d'en haut» de Claude-Henri Grignon, série télévisuelle qui connaît un grand succès d'une génération à l'autre. Auparavant, l'émission radiophonique, sous le titre «Un homme (Séraphin, l'avare) et son péché», avait largement contribué à faire connaître le roman de Grignon.
Ce quêteux de métier parcourt «son territoire». L'intrus est malvenu: il tente de le dissuader de rester ou le fait chasser avec l'aide du maire, du curé et avec l'appui des gens. On veut en limiter le nombre, car la paroisse ne pourrait en supporter plusieurs. En somme, le maire pense aux taxes, le curé à la dîme et à ses bonnes œuvres, le notaire et les marchands aux impayés, et l'habitant, souvent pauvre, pense à leur famille.

L'autre groupe est formé de «quêteux occasionnels». Celui qui est frappé par le malheur: le sans-abri, chassé de chez lui à cause de l'incendie de sa maison ou d'une reprise d'hypothèque; le criblé-de-dettes, le sans-emploi. Ce quêteux se sent humilié et ne souhaite pas mieux que de cesser de «quémander», de demander la charité.
À ce groupe, j'ajoute ceux que l'état mental ou physique jette sur les routes: le simple d'esprit, le handicapé, l'accidenté. Les uns finiront par être hébergés, les autres trouveront un travail qui convient à leur état: ce sont les chanceux. Les autres, les laissés-pour-compte, sont condamnés à l'errance... ce sont de pauvres malheureux.

Survenant, lui, est-il un quêteux? Si oui, quel type de quêteux. Si non, marche-t-il sur les traces de Jack London ou de Jack Kerouac?
C'est à ces questions que je tenterai de répondre dans mon prochain billet. C'est un rendez-vous...

À bientôt donc! Et merci de me lire...
___
*Louis Fréchette, Originaux et Détraqués, récits.

samedi 1 août 2009

En aparté - Pour saluer Anne Franck

En aparté... Survenant voudra bien nous attendre au bord de la route, au Chenal-du-Moine: le temps de saluer l'entrée du Journal d'Anne Frank au Registre UNESCO de la Mémoire du Monde. Parmi une foison de documentaires, d'entrevues, de commentaires, de résumés, d'extraits tirés du livre ou même chantés, de vidéos, et caetera, etc., j'ai choisi la lecture d'un extrait du Journal, lu par Audrey Hepburn.

Un court moment de lecture
pour saluer Anne Frank et tous les hommes, femmes et enfants que la Grande Bêtise, armée d'une implacable haine, a poursuivi jusqu'à la mort, sans trêve et sans merci.


vendredi 31 juillet 2009

Le Survenant - Germaine Guèvremont

Survenant, personnage central du roman, Le Survenant de Germaine Guèvremont, paru en 1945, s'inscrit-il dans la filière américaine? Est-ce qu'il y a des points communs entre Survenant, Jack London et Jack Kerouac? Survenant est-il, tout simplement, un «quêteux» qui parcourt les routes de la campagne du Québec au XIXe siècle et début XXe siècle? Un phénomène courant à cette époque.
C'est sous cet angle que j'aborderai l'analyse et la critique de ce roman, un classique de la littérature du Québec. Pour l'instant, mettons la table.

En premier lieu, reprenons la trame de cette filière américaine amorcée sur Livranaute en juin 2009, qui a fait l'objet de plusieurs billets. Trois auteurs, trois livres incontournables.

(1)__ The Road de Jack London, publié en 1907. C'est le récit des aventures et des vagabondages de Jack-the-Sailor, un double de l'auteur. Jack London parcourt son pays à pied ou à bord des trains. Il brûle le dur, voyageant illégalement à bord des trains ou dans les wagons de marchandises. À cette époque, en 1893, les chômeurs réclament du gouvernement américain qu'il construise des routes, et leur donne du travail. London se rallie, quelque temps, à cette «armée» de chômeurs et de laissés-pour-compte, commandée par le «général» Kelly. Puis, il reprend la route pour continuer son vagabondage. Il pousse une pointe au Canada, à Montréal (Québec) et à Niagara Falls (Ontario) où il sera arrêter pour vagabondage; puis il est extradé vers les États-Unis pour purger sa peine dans une prison de Buffalo. Quatorze ans plus tard, s'appuyant sur son journal de notes, ses expériences et vagabondages, il écrit The Road. Ce livre marquera les esprits et inspirera la jeunesse revendicatrice de son époque, et Jack Kerouac...

(2)__ On the Road. Sur la Route de Jack Kerouac, publié en 1957. Sous le nom de Sal Paradise, Jack Kerouac raconte ses errances sur les routes de son pays et celles du Mexique. Mais, le héros de ce roman n'est pas Sal Paradise, c'est Dean Moriarty -le double de Neil Cassidy. Ils parcourent des kilomètres et des kilomètres en auto -celle de Dean ou celle d'amis. Il erre sur les routes dont la mythique 66 reliant Chicago à Los Angeles, se déplaçant en auto-stop, à pied ou en brûlant le dur comme Jack London. Dans son roman, Kerouac raconte ses errances sur la route, seul ou avec Cassidy, de 1948 à 1956, dans un style personnel marqué par un tempo jazz qui résonnera à l'oreille et au coeur de la génération d'après-guerre. Il touchera des millions de lecteurs et inspirera toute une jeunesse qui prendra la route avec son livre sous le bras. Il marquera toute une génération nommée la «Beat Generation».

(3)__ The Road. La Route de Cormac McCarthy, publié en 2007. Cinquante ans plus tard, il n'y a plus de trains, plus de routes, plus d'autos. Il n'y a plus rien. Plus personne -digne de ce nom- sauf un homme et un enfant qui marchent vers le Sud, espérant y trouver leur salut. C'est le chemin de la désolation après une terrible catastrophe. Nous sommes dans une impasse, impossible de continuer par la route. Dead End.

Le roman: Le Survenant de Germaine Guèvremont.
L'histoire se déroule au Chenal-du-Moine*, un village de la paroisse Sainte-Anne-de-Sorel, situé près du lac St-Pierre. La vie des habitants de ce village, en 1909-1910, est rythmée par les saisons, et les travaux de la ferme ou la chasse. La nature y est donc omniprésente: la terre, l'eau, la flore, la faune. Les habitants de ce lieu vivent, en quelque sorte, en symbiose avec la nature. Et plusieurs d'entre eux en disent la beauté, pieds sur terre, regard attendri, nez au vent.

Le pivot du roman est l'arrivée, un soir d'automne 1909, à la brunante, d'un «étranger de bonne taille, jeune d'âge». Il frappe à la porte des Beauchemin qui s'apprêtent à souper, et demande à manger. Le père Didace l'invite à s'attabler et lui donne, d'emblée le nom de «Survenant». Didace tient à ce nom, il ignore celui de «Venant» comme on l'appelle parfois.
Au bout de quelques jours durant lesquels Survenant travaillent avec les hommes, Didace et son fils Amable, «Didace finit par lui demander: «Resteras-tu longtemps avec nous autres?» - «Quoi! Je resterai le temps qu'il faut.» [p.21]

Didace veut savoir son nom, savoir d'où il vient. «Je vous questionne pas, reprit l'étranger. Faites comme moi. J'aime la place. Si vous voulez me donner à coucher, à manger et un tant soit peu de tabac par-dessus le marché, je resterai. Je vous demande rien de plus. Pas même une taule. Je vous servirai d'engagé et appelez-moi comme vous voudrez.» - «Pour tout signe de consentement, la main du vieux s'abattit sur l'épaule du jeune homme.» [p.21-p.22]
(...)

«Mais la première fois que le père Didace fit allusion à la rareté de l'ouvrage (...), il sut que son heure était venue de parler franchement ou de repartir:
«Écoutez, le père Beauchemin, vous et vos semblables. Prenez moi (sic) pas pour un larron ou pour un scélérat des grands bois. Je suis ni un tueur ni un voleur. Et encore moins un tricheur. Partout où que je passe, j'ai coutume de gagner mon sel, puis le beurre pour mettre dedans (sic). Je vous ai offert de me garder moyennant asile et nourriture. Si vous avez pas satisfaction, dites-le: la route est proche. De mon bord, si j'aime pas l'ordinaire (la nourriture), pas même le temps de changer de hardes et je pars.»
(...) «Reste le temps qu'il faudra.» [p.43-p.44]
Survenant passera un an chez les Beauchemin. Il ne quittera la maison du père Didace qu'à l'automne 1910, partant comme il est venu. Mais n'anticipons pas.

La présence de l'étranger dont on ne sait rien, même pas son nom, dérange. Au premier chef, le fils de Didace, Amable, et sa femme Alphonsine. Amable est un mou, un paresseux «sans vaillance à l'ouvrage», geignard et déplaisant, au physique ingrat. Survenant, un homme jeune, de forte stature, travailleur et brave, aimé du père Didace, lui fait ombrage. Amable le prend vite en grippe et trouve sans cesse matière à le dénigrer, il en vient, en peu de temps, à le détester carrément.
«(...) Amable et Alphonsine eurent beau être vilains avec lui, il (Survenant) ne s'offensa ni de leurs regards de méfiance ni de leurs remarques mesquines.» [p.43]

La haine d'Amable ne s'épuisera pas après le départ de Survenant, lui qui, pourtant, est toujours éreinté... L'estime qui existe entre le père Didace et Survenant, en qui il voit le fils qu'il aurait aimé avoir, attise la haine d'Amable, lui, le fils mal-aimé -et peu aimable- relégué au second plan.
«(...) Depuis un an, il (Survenant) fait la loi au Chenal du Moine. Icitte, il était comme le garçon de la maison. Ben plus même.(...)» (p.210]
Contrairement à son mari, Alphonsine finit par développer pour Survenant une «amitié bougonneuse». Elle prendra même la défense de Survenant lorsqu'Amable le dénigre de plus belle après son départ. «C'était toujours ben un cœur en or, prêt à tout donner, affirma Alphonsine. Il avait rien à lui.» [p.209]

Les antagonismes qui se manifestent au sein de la famille Beauchemin se retrouvent dans la société du Chenal du Moine. Détesté par les uns, notamment les Provençal et les Salvail, apprécié par les autres, Survenant ne laissait personne indifférent. Même pas les gens qu'il croisait par hasard. Tout compte fait, seules deux personnes l'aiment pour ce qu'il est: le père Beauchemin et Angélina Desmarais, sa voisine. Tous deux sentiront un immense vide et une profonde ennui après son départ. Nous y reviendrons.
Il suffit ici d'ajouter un mot sur Angélina. Dès la première fois qu'elle voit Survenant, elle en tombe amoureuse. «La Noire», comme la surnomme affectueusement Survenant, occupe une place dans le cœur de ce «Grand-dieu-des-routes» qui prend garde de ne pas trop s'attacher à elle, se limitant à une douce et sincère amitié. Et pour cause:
«(...) Ceux du Chenal ne comprennent donc point qu'il porte à la maison un véritable respect qui va jusqu'à la crainte? De jour en jour, pour chacun d'eux, il devient davantage le Venant à Beauchemin: au cirque, Amable n'a même pas protesté quand on l'a appelé ainsi. Le père Didace ne jure que par lui. L'amitié bougonneuse d'Alphonsine ne le lâche pas d'un pas. Z'Yeux-ronds (le chien) le suit mieux que le maître. Pour tout le monde il fait partie (sic) de la maison. Mais un jour, la route le reprendra...» [p.191-p.192]
Et Survenant le sait mieux que personne...
___
* Chenal-du-Moine, avec ou sans trait d'union? Dans le roman: sans trait d'union. Ailleurs, la plupart du temps: avec trait d'union. Germaine Guèvremont me pardonnera d'utiliser le trait d'union car il évite d'étirer le mot, et de faire des trous dans le texte... Nous en avons bien assez sur nos routes.