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mardi 6 octobre 2009

Qui êtes-vous... Survenant? (3)

Qui êtes-vous... Survenant? (3). Descendant du Français Beauchemin dit Petit, bourlingueur, homme de chantier, coureur des bois, aux allures d'Indien, «Survenant» s'inscrit dans la filière américaine, à la suite de Jack London, «The Road», à titre de précurseur de Jack Kerouac, «On the Road». Cette route que fermera Cormac McCarthy avec «The Road». En examinant attentivement le personnage de Germaine Guèvremont, «Le Survenant», on discerne, aisément, son originalité et sa modernité. Mais qu'en est-il, vraiment, de sa part d'américanité?

Survenant: un beatnick

Laissons la parole à Germaine Guèvremont «Mon Survenant aurait pu être beatnick, lui aussi»*, dit-elle lors d'une entrevue au Petit Journal (1959). À la lumière du roman et des écrits consultés, on sait que cette affirmation n'est pas superficielle.

Hélène Destrempes et Jean Morency écrivent: « Reconnaissant ainsi le lien direct entre son personnage fétiche et la mouvance beat, elle ne manque pas d'inscrire la figure du Survenant dans un courant nord-américain dont il est en quelque sorte un précurseur ou du moins représentant. Son grand-dieu-des-routes, habité par la fièvre des départs et porté sur la dive bouteille, serait ainsi un proche parent, voire un précurseur de Jack Kerouac, dont le fameux roman On the Road date de 1957. Cette revendication de la modernité de la figure du Survenant comme du roman lui-même n'a rien de gratuit, du moment que l'on considère l'étendue de la culture livresque de Germaine Guèvremont, qui connaissait la lignée des auteurs dont l'œuvre de Jack kerouac était elle-même issue, à commencer par Jack London, John Steinbeck, Thomas Wolfe (...)».*

Les auteurs soulignent que Alfred Desrochers, dans les années '40, se «tourne vers la poésie américaine, qu'il a découverte avec ravissement dans des revues spécialisées venues des États-Unis.» Ils mentionnent que l'écriture de Germaine Guèvremont a été influencée par ses lectures de revues et d'auteurs américains, à l'appui de sa correspondance avec Alfred Desrochers. Ils mentionnent aussi «les échanges de plus en plus nombreux entre les citoyens de la belle province (le Québec) et leurs compatriotes exilés du «Québec d'en bas.» Notons que Pierre Anctil est l'auteur du texte «La Franco-Américanie ou le Québec d'en bas» (2007)

Je rappelle ici que Victor-Lévy Beaulieu (VLB), qui a guidé notre lecture de Jack Kerouc, traite abondamment du Québec d'en bas. [Son essai, intitulé «Jack Kérouac», a été publié aux Éditions Trois-Pistoles, en 2005]

Dans son roman. Germaine Guèvremont parle de l'Acayenne et du Québec d'en bas. Ces passages ont une résonance, car on sait que Jack Kerouac est un Franco-américain (un Canuk) dont les parents canadiens-français (aujourd'hui, on dirait québécois) catholiques ont émigré à Lowell, Massachussets, c'était...le Québec d'en bas.

__On te demande (Survenant) si t'as eu vent à Sorel du gros accident?
__ Quel accident?
__ Apparence que trente-quelques personnes ont péri dans une exposion (explosion) à la station des chars (trains) du Pacifique, à Montréal.
__ Ah oui! L'Acayenne m'en a soufflé mot (...)
(...)
__ Une personne de ma connaissance. [p.103].

Survenant: «L'Acayenne, de son vrai nom Blanche Varieur»
__«Mais d'où qu'elle sort pour qu'on l'appelle l'Acayenne?
Survenant: «Ah! elle vient de par en bas du Québec, de quelque part dans le golfe.» [p. 188].

Fin du voyage
À la lumière de ce qui a été dit, je n'hésite pas à inscrire Survenant dans la filière américaine, précurseur de Jack Kerouac. À la différence de celui-ci, il est un personnage, et non pas une personne. Mais sa nature complexe, et unique, lui donne un caractère humain indéniable. Il n'est pas étonnant que Survenant ait atteint le statut de mythe.

Je vous quitte sur ces deux belles déclarations d'amour. Celle de Survenant à Angélina, dans une scène d'adieu déchirante; et, celle de Germaine Guèvremont à «son» Survenant, magnifique!

«Si tu voulais, Survenant... Tendrement il emprisonna un moment dans les siennes les mains qui s'accrochaient à lui et y enfouit son visage.
D'une geste brusque, il se dégagea et, la voix enrouée, il dit: Tente-moi pas, Angélina. C'est mieux.» À grandes foulées, il se perdit dans la nuit noire.» [p. 196].


Plus qu'un homme, le Survenant est l'île de nostalgie, de déraison, d'inaccessible, d'inavouable
---et pourtant d'humain--- que chacun porte en soi.
L'ïle perdue.

Germaine Guèvremont

__
* Hélène Destrempes et Jean Morency, «Américanité et modernité dans le cycle du Survenant», à l'adresse...
Principales sources: «Le Survenant», Germaine Guèvremont, Bibliothèque québécoise, 1990, 219 pages, ainsi que la présentation du roman par Yvan G. Lepage, intitulée «Genèse d'un mythe», p.7-p.17.
Autres sources:
__ Pierre Anctil, «La Franco-Américanie ou le Québec d'en bas», erudit.org
__ L'article de Thomas Flamarion, «Cent ans sous les semelles: Trilogie de l'asphalte: London, Kerouac, Mc Carthy», qui a inspiré ma démarche.
__ Victor-Lévy Beaulieu (VLB), «Jack Kérouac», Éditions Trois-Pistoles, en 2005.
Rappel: La traduction anglaise qui aura pour titre: «Monk's Reach» (1950). En américain, le titre sera «The Outlander» (1950). En France, «Le Survenant» sera publié chez Plon, coll. «L'Épi», dirigée par le philosophe et écrivain Gabriel Marcel (1946)

samedi 3 octobre 2009

Qui êtes-vous... Survenant? (2)

Qui êtes-vous... Survenant? (2) «Survenant», personnage du roman «Le Survenant» de Germaine Guèvremont, est un précurseur de Jack Kerouac. Ce n'est pas rien! C'est un homme moderne qui s'inscrit dans la filière américaine formée, dorénavant, de Jack London, «The Road»; de Germaine Guèvremont, «Survenant» ; de Jack Kerouac, «On the Road»; de Cormac McCarthy, «The Road».

Lisons, liserons! Lisons ce roman, un classique de la littérature québécoise, d'un œil nouveau. «Tout le monde en parle», mais qui a lu «Le Survenant», d'une couverture à l'autre. Pour penser, dire, répéter, à tout vent et à tout venant, «c'est un roman du terroir»... c'est le réduire à sa portion congrue (L'avez-vous lu? Avez-vous sauté des pages? Ah! Ah! vous n'avez pas lu mon blogue...). Oui, il y a de «ça»... mais pas seulement «ça» (et le «ça» n'est pas le béret de Roland Barthes). «Survenant»: c'est lui qui est le pivot du roman, c'est sur lui que repose le roman; sans lui, le roman tombe à plat. Nevermind! dirait Survenant, je m'en vas ailleurs... « (...) pas même le temps de changer de hardes et je pars.» Survenant, un homme libre...

Qui êtes-vous... Survenant?
Survenant est un personnage à facettes: bourlingueur, homme de chantier et coureur des bois, aux allures d'Indien. Je poursuivrai, et terminerai en beauté, son portrait. En commençant, comme il se doit, par vous exposer «ma petite idée»...

Descendant du Français Beauchemin dit Petit
Dans les écrits. J'ai cherché, mais je n'ai pas trouvé d'écrits appuyant cette filiation du Survenant. Filiation tout à fait plausible que j'ai déduite du roman lui-même. Laissons donc «parler» le roman. [p.155 à p.158]

Dans le roman: Survenant s'adresse au père Didace: «Beauchemin... c'est comme rien, le premier du nom devait aimer les routes?»
Didace lui répond: «T'as raison, Survenant. Les premiers Beauchemin de notre branche tenaient pas en place. Ils étaient deux frères, un grand, un petit: mieux que deux frères, des vrais amis de cœur. Le grand s'appelait Didace. Le petit j'ai jamais réussi à savoir son petit nom. (...) Ils venaient des vieux pays. L'un et l'autre avaient quitté père, mère et patrie, pour devenir son maître et refaire sa vie. Ah! quand il s'agissait de barauder de bord en bord d'un pays, ils avaient pas leur pareil à des lieues à la ronde. (...) Ils sont arrivés au chenal, tard, en automne, avec, pour tout avoir, leur hache, et leur paqueton sur le dos. Et dans l'idée de repartir au printemps. Seulement pendant l'hiver, le grand s'est épris si fort d'amitié pour une créature qu'il a jamais voulu s'en retourner. (...) Il s'est donc marié, et c'est de même qu'on s'est enraciné au Chenal du Moine».

Alors, Survenant se mit à chantonner une vieille complainte, que Didace entonna à son tour. «Puis il (Didace) continua à raconter:
__ Tout ce qu'on a su de lui, c'est que, par vengeance, il a jamais voulu porter le nom de Beauchemin: Il s'est appelé Petit.
__ Petit! s'exclama le Survenant. Pas Beauchemin dit Petit.
__ Sûrement. Quoi c'est qu'il y a d'étrange là-dedans?
__ Ça me surprend parce qu'il y a eu des Petit dans notre famille.»

«Sa grand-mère était une Petit. Serait-il du même sang que les Beauchemin? À cela rien d'impossible. (...). Il (Survenant) se perdit en réflexions: "Pour refaire sa vie et devenir son maître": c'est ainsi que si peu de Français, par nature casaniers, sont venus s'établir au Canada, au début de la colonie, et que le métayage est impossible au pays. Celui qui décide de sortir complètement du milieu qui l'étouffe est toujours un aventurier. Il ne consentira pas à reprendre ailleurs le joug qu'il a secoué d'un coup sec. Le Français, une fois Canadien, préférerait exploiter un lot de la grandeur de la main qu'un domaine seigneurial dont il ne serait encore que le vassal et que de toujours devoir à quelqu'un foi, hommage et servitude. À son insu, il venait de penser tout haut. Didace n'en fit rien voir. Rempli d'admiration et de respect pour une si savante façon de parler, il écouta afin d'en entendre davantage, mais le Survenant se tut.»

En somme, ce passage est si éloquent qu'il se passe de commentaires. Cependant, il pourrait éclairer la réponse sibylline de Survenant à Amable au sujet de son habilité à réparer des raquettes -moyen de déplacement des Indiens pour marcher dans la neige épaisse.
__ De qui c'est que t'as appris ça, Survenant? lui demanda Amable.
__ De personne. Mon père, mon grand-père, mon arrière-grand-père l'ont appris pour moi. [p.119]

Ce passage pourrait répondre à cette question, toute simple: «De qui peut-il bien retenir (avoir des traits de ressemblance) pour avoir la bougeotte comme ça. Il ne tient pas en place!» Il... Survenant pourrait bien retenir de son ancêtre, Beauchemin dit Petit, venu de France....
Son arrière-grand-père a, probablement, côtoyé des Indiens -des Hurons, des Montagnais- de qui il aura appris beaucoup de choses... confectionner et réparer des raquettes, courir les bois, vivre en accord avec la nature, respirer un air de liberté... Il me semble que «ma petite idée» tient debout... sans avoir à s'appuyer sur un arbre...

Survenant est un personnage complexe et dense, tiraillé par des tensions intérieures.
Yvan G. Lepage écrit: « Le Survenant est un personnage infiniment complexe. Il a beau porter un mackinaw, avoir connu les chantiers et passer pour un «sauvage», il n'en demeure pas moins un homme éminemment moderne. Certes, il ne dédaigne pas la nature, mais c'est la ville qui l'attire, avec ses hôtels et ses plaisirs». [p.13]

Dans mon billet précédent, j'ai établi que Survenant est un coureur des routes, tout comme Jack London «The Road» et Jack Kerouac «On the Road». En cernant de plus près la «personnalité» de Survenant, nous arrivons à saisir pleinement son originalité et sa modernité. On sait que Jack Kerouac est un Canuck qui s'est américanisé, dans une certaine mesure, car il est demeuré essentiellement lui-même, dans sa vie comme dans ses livres, lesquels s'interpénétraient. Survenant, lui, aurait-il une part d'américanité?

Je répondrai à cette question dans mon prochain billet, qui marquera la fin de notre voyage. C'est un rendez-vous...

À très bientôt!

__
* Présentation par Yvan G. Lepage, intitulée «Genèse d'un mythe», p.7-p.17, du roman «Le Survenant» de Germaine Guèvremont, Bibliothèque québécoise, 1990, 219 pages.
**La traduction anglaise aura pour titre: «Monk's Reach» (1950). En américain, le titre sera «The Outlander» (1950). En France, «Le Survenant» sera publié chez Plon, coll. «L'Épi», dirigée par le philosophe et écrivain Gabriel Marcel (1946)
*** Hélène Destrempes et Jean Morency, «Américanité et modernité dans le cycle du Survenant», à l'adresse...
__ Pierre Anctil, «La Franco-Américanie ou le Québec d'en bas», erudit.org
Rappel: L'article de Thomas Flamarion, «Cent ans sous les semelles: Trilogie de l'asphalte: London, Kerouac, Mc Carthy», a inspiré ma démarche.

mercredi 16 septembre 2009

Survenant - Un coureur des routes

Survenant - Un coureur des routes. Pour savoir si Survenant, personnage pivot du roman «Le Survenant» de Germaine Guèvremont, s'inscrit dans la filière américaine «des coureurs des routes», il faut répondre à la question préalable: Survenant est-il, tout simplement, un quêteux qui parcourt les routes de la campagne du Québec au XIXe siècle? Un phénomène tout à fait courant. Si la réponse est affirmative, l'affaire est classée. Sinon, la première question demeure entière et exige un examen.

Bref rappel
La filière américaine comprend 3 auteurs incontournables: Jack London, «The Road»; Jack Kerouac, «On the Road», et Cormac McCarthy, «The Road», qui ferme la route sans issue -Dead end- avec ses personnages sans nom, l'homme et l'enfant. À 50 ans d'intervalle, ces trois grands auteurs nous racontent la vie sur la route. Avec Survenant, nous arrivons,à présent, au terme de notre «vagabondage» dans les livres.

Survenant n'est pas un quêteux.
De toute évidence, ce personnage romanesque ne correspond pas à la description du «quêteux» de métier, comme je l'ai décrit dans mon billet du 11 août 2009 (oui, la page existe). Bien sûr, il partage avec eux le goût de la liberté, le désir de ne pas s'attacher, de parcourir les routes. Comme eux, il raconte des histoires, il chante, il joue d'un instrument (piano et harmonium, alors que le quêteux joue de l'harmonica). Comme eux, il attire les gens d'alentour qui s'empressent de venir à la veillée.

Cependant, ces points communs ne sont pas suffisants pour faire de Survenant un quêteux. J'en veux pour preuve que Jack London et Jack Kerouac partagent, chacun à sa manière et en son temps, ces mêmes points communs. Ce qui, cela va de soi, n'en fait pas, pour autant, des «quêteux». Ils sont des «coureurs des routes».

Jack London, Jack Kerouac et Survenant ne quêtent pas. Mais, ils peuvent, à l'occasion, demander à manger. par exemple:
__ «Il (Survenant) frappe à la porte des Beauchemin qui s'apprêtaient à souper (...). C'était un étranger de bonne taille, jeune d'âge, paqueton au dos, qui demandait à manger». [p. 19]. Ce sera la première et dernière fois.

__ Jack London, tenaillé par la faim, ruse afin qu'on lui donne à manger. Dans son chapitre «Confession», il s'en explique.
«There a woman in the state of Nevada [Reno] to whom I once lied continuously, consistenly, and shamelessly, for the matter of a couple of hours. I don't want to apologize to her. Far be it from. But I do want explain. Unfortunately, I do not know her name, much less her present address. If her eyes should chance upon these lines, I hope she will write to me. (...). It was the hungry hoboes that made the town a "hungry" town [Il fait référence à l'«armée» de chômeurs du «général» Kelly]. They "battered" the back doors of the homes of the citizens until the back doors became unresponsive. (...). I was hungry (...). At the first glimpse of her kindly face I took my cue. I became a sweet, innocent, unfortunate lad. [Bref, il joue la comédie à cette femme afin de l'attendrir pour qu'elle lui donne à manger; ce qu'elle fera].

__Jack kerouac, lui, lorgne le lunch d'un bon samaritain: «Le type qui me prit à bord de sa bagnole était hâve et décharné, il croyait à l'action bienfaisante sur la santé d'une inanition contrôlée. Quand je lui dis, comme nous roulions vers l'Est, que je crevais de faim, il dit: "Parfait, rien de meilleur pour vous. Moi-même je n'ai pas mangé depuis trois jours. Je suis en route pour vivre cent cinquante ans". Je dévorai [des sandwiches donnés, enfin, par le type] (...). Tout à coup, je me suis mis à rire. J'étais seul dans l'auto à l'attendre (...) et je ne pouvais m'arrêter de rire.»

Il arrive que le quêteux travaille une journée ou deux pour l'habitant en échange de sa nourriture. Mais, il dort sur ou dans le banc de quêteux -jamais dans un lit- ou dans la grange. Ce n'est pas le cas de Survenant. Il offre ses services d'homme engagé au père Didace Beauchemin: «Si vous voulez me donner à coucher et à manger [et un peu de tabac], je resterai. Je vous demande rien de plus. Par même une taule. Je vous servirai d'engagé. (...)» [p.21-p.22]. Par un geste, le père Beauchemin accepte. Survenant occupera une chambre dans la maison, boira avec le gobelet, et se lavera au lavabo.

Lorsque, un peu plus tard, le père Didace fera allusion à la rareté de l'ouvrage, Survenant lui dira promptement: «Écoutez le père Beauchemin, vous et vos semblables. Prenez moi (sic) pas pour un larron ou pour un scélérat des grands bois. (...) Partout où je passe, j'ai coutume de gagner mon sel, puis le beurre pour mettre dedans (sic). Je vous ai offert de me garder moyennant asile et nourriture. Si vous avez pas satisfaction, dites-le: la route est proche. De mon bord, si j'aime pas l'ordinaire (la nourriture), pas même le temps de changer de hardes et je pars.» (...) «Reste le temps qu'il faudra», lui répond le père Didace Beauchemin. [p.43-p.44].

Il ne viendrait pas à l'idée d'aucun habitant de traiter un quêteux comme on traitait Survenant. D'ailleurs, ni Amable (le fils) ni Alphonsine (la belle-fille), qui ne peuvent pas le blairer et se montrent mesquins, ne le traitent comme un quêteux. Ils voient en lui un homme engagé. Il en est de même pour les gens du Chenal-du-Moine y compris ceux qui le détestent.
«De jour en jour, pour chacun d'eux (les gens du Chenal), il devient le Venant à Beauchemin [sans qu'Amable proteste]. Le père Beauchemin ne jure que par lui. L'amitié bougonneuse d'Alphonsine (manifestée plus tard) ne le lâche pas. [Le chien] le suit mieux que son maître.» Pour tous, il fait partie de la maison. Il y restera une année.

En terminant...
J'espère vous avoir convaincu: Survenant n'est pas un quêteux, comme on le dit et le répète à tout vent. À défaut, probablement, d'une perspective plus large... et d'aller voir du côté des écrivains américains.

Il reste à savoir ce qu'il est... Il reste à savoir s'il s'inscrit dans la filière américaine...
Ce sera l'objet de mon prochain billet, sous peu... Il me faut accélérer la cadence, des livres attendent leur tour avec impatience.
À bientôt donc!

mardi 11 août 2009

Survenant est-il un quêteux?

Certains auteurs de textes, publiés sur Internet, affirment sans ambages que Le Survenenant est un quêteux. Pour eux, cela semble aller de soi. Précisons: Le Survenant est le titre du roman de Germaine Guèvremont, et Survenant ou le Survenant désigne le nom du personnage principal. Cette clarification n'est en rien byzantine, car elle permet d'éviter des ambiguïtés dans le discours. Cela posé, abordons de front la question: Survenant est-il un quêteux, sans rapport avec Jack London ou Jack Kerouac, s'inscrivant dans le paysage du Québec vers les années 1909-1910?

Le quêteux est un mendiant. À la belle saison, il parcourt la campagne demandant le gîte et le couvert aux «habitants». Il leur demande l'aumône «pour l'amour de Dieu». Sales et pouilleux, on les fait dormir soit dans le «banc du quêteux», soit dans la grange - et on prie le Ciel pour qu'il n'y mette pas le feu. Même les pauvres lui donnent à manger et, bien souvent, il repart avec quelques victuailles. En retour, certains aident durant un ou plusieurs jours aux travaux de la ferme. D'autres reprennent la route avec un «Dieu nous bénisse» ou un «Dieu vous le rendra».

Le quêteux est une vraie «gazette». Il colporte les nouvelles d'un village à l'autre, d'une maison à l'autre. Mariage, naissance, décès, incendie, accident... tout y passe. Au plus fiable, on confie des lettres ou des messages verbaux, à l'image d'Olivier Chouinard, dans le roman de Louis Fréchette. Un homme de confiance, simple, un illettré qui livrait les lettres ou colis qu'on lui confiait, un facteur avant la lettre... Un personnage haut en couleur ayant réellement existé, ce quêteux parcourait le territoire du Bas-du-fleuve, en toutes saisons.*

Le quêteux pouvait s'adonner au commérage, répandant des ragots... peu charitables. En verve, et peu scrupuleux, il n'hésite pas à faire bruire la maison de l'habitant «de cent médisances, ragots et calomnies». En général, toutefois, le quêteux se contente de rapporter les nouvelles d'une maison à l'autre, d'un village à l'autre. Il raconte des histoires, des contes, en y mettant son grain de sel: cent fois racontés, cent fois réinventés. Il chante ou joue de l'harmonica - de la «ruine-babines». Il désennuie la maisonnée à laquelle se joignent, parfois, des voisins qui viennent veiller comme chez les Beauchemin, dans Le Survenant.

À l'opposé, il y a le «mauvais quêteux. Effronté, grossier, vicieux même, il tente de faire la loi. La femme et les enfants seuls à la maison en ont une peur bleue, et pour cause. Celui-là est mécontent de tout ce qu'on lui offre, en exige davantage et du meilleur. Il leur lance des injures et les menace. Il va jusqu'à jeter des sorts pour effrayer les gens -souvent superstitieux- de la maison.
C'est le type du quêteux crasseux, pouilleux, hargneux, ivrogne, souvent ivre, toujours violent. Celui-là, on cherche à s'en débarrasser au plus vite, ou bien on le chasse manu militari, si cela est possible. On le redoute, car on craint une vengeance, par exemple qu'il revienne sournoisement pour mettre le feu aux bâtiments.

Parmi les quêteux, on peut distinguer deux groupes. Le «quêteux de métier» qui correspond, somme toute, au portrait que je viens d'esquisser. Pour lui, parcourir «le pays» est un mode vie. Il ressemble à Jambe-de-bois dans «Les belles histoires des Pays d'en haut» de Claude-Henri Grignon, série télévisuelle qui connaît un grand succès d'une génération à l'autre. Auparavant, l'émission radiophonique, sous le titre «Un homme (Séraphin, l'avare) et son péché», avait largement contribué à faire connaître le roman de Grignon.
Ce quêteux de métier parcourt «son territoire». L'intrus est malvenu: il tente de le dissuader de rester ou le fait chasser avec l'aide du maire, du curé et avec l'appui des gens. On veut en limiter le nombre, car la paroisse ne pourrait en supporter plusieurs. En somme, le maire pense aux taxes, le curé à la dîme et à ses bonnes œuvres, le notaire et les marchands aux impayés, et l'habitant, souvent pauvre, pense à leur famille.

L'autre groupe est formé de «quêteux occasionnels». Celui qui est frappé par le malheur: le sans-abri, chassé de chez lui à cause de l'incendie de sa maison ou d'une reprise d'hypothèque; le criblé-de-dettes, le sans-emploi. Ce quêteux se sent humilié et ne souhaite pas mieux que de cesser de «quémander», de demander la charité.
À ce groupe, j'ajoute ceux que l'état mental ou physique jette sur les routes: le simple d'esprit, le handicapé, l'accidenté. Les uns finiront par être hébergés, les autres trouveront un travail qui convient à leur état: ce sont les chanceux. Les autres, les laissés-pour-compte, sont condamnés à l'errance... ce sont de pauvres malheureux.

Survenant, lui, est-il un quêteux? Si oui, quel type de quêteux. Si non, marche-t-il sur les traces de Jack London ou de Jack Kerouac?
C'est à ces questions que je tenterai de répondre dans mon prochain billet. C'est un rendez-vous...

À bientôt donc! Et merci de me lire...
___
*Louis Fréchette, Originaux et Détraqués, récits.

vendredi 31 juillet 2009

Le Survenant - Germaine Guèvremont

Survenant, personnage central du roman, Le Survenant de Germaine Guèvremont, paru en 1945, s'inscrit-il dans la filière américaine? Est-ce qu'il y a des points communs entre Survenant, Jack London et Jack Kerouac? Survenant est-il, tout simplement, un «quêteux» qui parcourt les routes de la campagne du Québec au XIXe siècle et début XXe siècle? Un phénomène courant à cette époque.
C'est sous cet angle que j'aborderai l'analyse et la critique de ce roman, un classique de la littérature du Québec. Pour l'instant, mettons la table.

En premier lieu, reprenons la trame de cette filière américaine amorcée sur Livranaute en juin 2009, qui a fait l'objet de plusieurs billets. Trois auteurs, trois livres incontournables.

(1)__ The Road de Jack London, publié en 1907. C'est le récit des aventures et des vagabondages de Jack-the-Sailor, un double de l'auteur. Jack London parcourt son pays à pied ou à bord des trains. Il brûle le dur, voyageant illégalement à bord des trains ou dans les wagons de marchandises. À cette époque, en 1893, les chômeurs réclament du gouvernement américain qu'il construise des routes, et leur donne du travail. London se rallie, quelque temps, à cette «armée» de chômeurs et de laissés-pour-compte, commandée par le «général» Kelly. Puis, il reprend la route pour continuer son vagabondage. Il pousse une pointe au Canada, à Montréal (Québec) et à Niagara Falls (Ontario) où il sera arrêter pour vagabondage; puis il est extradé vers les États-Unis pour purger sa peine dans une prison de Buffalo. Quatorze ans plus tard, s'appuyant sur son journal de notes, ses expériences et vagabondages, il écrit The Road. Ce livre marquera les esprits et inspirera la jeunesse revendicatrice de son époque, et Jack Kerouac...

(2)__ On the Road. Sur la Route de Jack Kerouac, publié en 1957. Sous le nom de Sal Paradise, Jack Kerouac raconte ses errances sur les routes de son pays et celles du Mexique. Mais, le héros de ce roman n'est pas Sal Paradise, c'est Dean Moriarty -le double de Neil Cassidy. Ils parcourent des kilomètres et des kilomètres en auto -celle de Dean ou celle d'amis. Il erre sur les routes dont la mythique 66 reliant Chicago à Los Angeles, se déplaçant en auto-stop, à pied ou en brûlant le dur comme Jack London. Dans son roman, Kerouac raconte ses errances sur la route, seul ou avec Cassidy, de 1948 à 1956, dans un style personnel marqué par un tempo jazz qui résonnera à l'oreille et au coeur de la génération d'après-guerre. Il touchera des millions de lecteurs et inspirera toute une jeunesse qui prendra la route avec son livre sous le bras. Il marquera toute une génération nommée la «Beat Generation».

(3)__ The Road. La Route de Cormac McCarthy, publié en 2007. Cinquante ans plus tard, il n'y a plus de trains, plus de routes, plus d'autos. Il n'y a plus rien. Plus personne -digne de ce nom- sauf un homme et un enfant qui marchent vers le Sud, espérant y trouver leur salut. C'est le chemin de la désolation après une terrible catastrophe. Nous sommes dans une impasse, impossible de continuer par la route. Dead End.

Le roman: Le Survenant de Germaine Guèvremont.
L'histoire se déroule au Chenal-du-Moine*, un village de la paroisse Sainte-Anne-de-Sorel, situé près du lac St-Pierre. La vie des habitants de ce village, en 1909-1910, est rythmée par les saisons, et les travaux de la ferme ou la chasse. La nature y est donc omniprésente: la terre, l'eau, la flore, la faune. Les habitants de ce lieu vivent, en quelque sorte, en symbiose avec la nature. Et plusieurs d'entre eux en disent la beauté, pieds sur terre, regard attendri, nez au vent.

Le pivot du roman est l'arrivée, un soir d'automne 1909, à la brunante, d'un «étranger de bonne taille, jeune d'âge». Il frappe à la porte des Beauchemin qui s'apprêtent à souper, et demande à manger. Le père Didace l'invite à s'attabler et lui donne, d'emblée le nom de «Survenant». Didace tient à ce nom, il ignore celui de «Venant» comme on l'appelle parfois.
Au bout de quelques jours durant lesquels Survenant travaillent avec les hommes, Didace et son fils Amable, «Didace finit par lui demander: «Resteras-tu longtemps avec nous autres?» - «Quoi! Je resterai le temps qu'il faut.» [p.21]

Didace veut savoir son nom, savoir d'où il vient. «Je vous questionne pas, reprit l'étranger. Faites comme moi. J'aime la place. Si vous voulez me donner à coucher, à manger et un tant soit peu de tabac par-dessus le marché, je resterai. Je vous demande rien de plus. Pas même une taule. Je vous servirai d'engagé et appelez-moi comme vous voudrez.» - «Pour tout signe de consentement, la main du vieux s'abattit sur l'épaule du jeune homme.» [p.21-p.22]
(...)

«Mais la première fois que le père Didace fit allusion à la rareté de l'ouvrage (...), il sut que son heure était venue de parler franchement ou de repartir:
«Écoutez, le père Beauchemin, vous et vos semblables. Prenez moi (sic) pas pour un larron ou pour un scélérat des grands bois. Je suis ni un tueur ni un voleur. Et encore moins un tricheur. Partout où que je passe, j'ai coutume de gagner mon sel, puis le beurre pour mettre dedans (sic). Je vous ai offert de me garder moyennant asile et nourriture. Si vous avez pas satisfaction, dites-le: la route est proche. De mon bord, si j'aime pas l'ordinaire (la nourriture), pas même le temps de changer de hardes et je pars.»
(...) «Reste le temps qu'il faudra.» [p.43-p.44]
Survenant passera un an chez les Beauchemin. Il ne quittera la maison du père Didace qu'à l'automne 1910, partant comme il est venu. Mais n'anticipons pas.

La présence de l'étranger dont on ne sait rien, même pas son nom, dérange. Au premier chef, le fils de Didace, Amable, et sa femme Alphonsine. Amable est un mou, un paresseux «sans vaillance à l'ouvrage», geignard et déplaisant, au physique ingrat. Survenant, un homme jeune, de forte stature, travailleur et brave, aimé du père Didace, lui fait ombrage. Amable le prend vite en grippe et trouve sans cesse matière à le dénigrer, il en vient, en peu de temps, à le détester carrément.
«(...) Amable et Alphonsine eurent beau être vilains avec lui, il (Survenant) ne s'offensa ni de leurs regards de méfiance ni de leurs remarques mesquines.» [p.43]

La haine d'Amable ne s'épuisera pas après le départ de Survenant, lui qui, pourtant, est toujours éreinté... L'estime qui existe entre le père Didace et Survenant, en qui il voit le fils qu'il aurait aimé avoir, attise la haine d'Amable, lui, le fils mal-aimé -et peu aimable- relégué au second plan.
«(...) Depuis un an, il (Survenant) fait la loi au Chenal du Moine. Icitte, il était comme le garçon de la maison. Ben plus même.(...)» (p.210]
Contrairement à son mari, Alphonsine finit par développer pour Survenant une «amitié bougonneuse». Elle prendra même la défense de Survenant lorsqu'Amable le dénigre de plus belle après son départ. «C'était toujours ben un cœur en or, prêt à tout donner, affirma Alphonsine. Il avait rien à lui.» [p.209]

Les antagonismes qui se manifestent au sein de la famille Beauchemin se retrouvent dans la société du Chenal du Moine. Détesté par les uns, notamment les Provençal et les Salvail, apprécié par les autres, Survenant ne laissait personne indifférent. Même pas les gens qu'il croisait par hasard. Tout compte fait, seules deux personnes l'aiment pour ce qu'il est: le père Beauchemin et Angélina Desmarais, sa voisine. Tous deux sentiront un immense vide et une profonde ennui après son départ. Nous y reviendrons.
Il suffit ici d'ajouter un mot sur Angélina. Dès la première fois qu'elle voit Survenant, elle en tombe amoureuse. «La Noire», comme la surnomme affectueusement Survenant, occupe une place dans le cœur de ce «Grand-dieu-des-routes» qui prend garde de ne pas trop s'attacher à elle, se limitant à une douce et sincère amitié. Et pour cause:
«(...) Ceux du Chenal ne comprennent donc point qu'il porte à la maison un véritable respect qui va jusqu'à la crainte? De jour en jour, pour chacun d'eux, il devient davantage le Venant à Beauchemin: au cirque, Amable n'a même pas protesté quand on l'a appelé ainsi. Le père Didace ne jure que par lui. L'amitié bougonneuse d'Alphonsine ne le lâche pas d'un pas. Z'Yeux-ronds (le chien) le suit mieux que le maître. Pour tout le monde il fait partie (sic) de la maison. Mais un jour, la route le reprendra...» [p.191-p.192]
Et Survenant le sait mieux que personne...
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* Chenal-du-Moine, avec ou sans trait d'union? Dans le roman: sans trait d'union. Ailleurs, la plupart du temps: avec trait d'union. Germaine Guèvremont me pardonnera d'utiliser le trait d'union car il évite d'étirer le mot, et de faire des trous dans le texte... Nous en avons bien assez sur nos routes.

samedi 13 juin 2009

The Road. La filière américaine. Dead end. (3)

Se suivent dans la filière américaine, à 50 ans d'intervalle, Jack London et Jack Kerouac. Tous deux ont pris la route et parcouru les États-Unis d’Amérique, au gré des rencontres et des moyens de déplacement. Deux sans-le-sou avides de découverte. Tous deux, conteurs et personnages de leurs propres aventures, pour ne pas dire de leur «vécu». Dans le roman The Road, de Cormac McCarthy, 50 ans après Jack Kerouac, deux personnages se mettent en route –l’auteur, lui, ne prend pas la route comme ses prédécesseurs.

Ils n’ont pas choisi la route, ils ne courent pas à l’aventure, ils veulent, simplement, survivre. Finie l’insouciante jeunesse! Finies les «folleries»! La [dernière] Route mène à l’impasse. Dead end. Mais quelle route? À l’époque de Jack London, on réclamait des routes, à celle de Jack Kerouac, on roulait sur les routes. Depuis une épouvantable catastrophe qui a frappé le pays, il n’y en a plus de routes, plus de «Highways», de US Route 66, orgueil des Américains. Plus de trains, plus d’autos. RIEN. Il n’y a plus rien : tout est calciné, les maisons et les commerces sont vides. Des morts ici et là. Plus personne, c’est «vide de monde». Si… mais ce sont des «mangeurs d’hommes», des anthropophages… des hordes qui commettent les pires exactions: des «méchants». Il n’y aura pas de «gentils».

Dans ce roman, il n’y a plus de héros, que l’homme et l’enfant, le papa et son petit, sans visage, sans identité. Ils marchent sur un épais tapis de cendres. Ils avancent péniblement poussant un charriot rempli d’objets hétéroclites, une lanterne, une bâche en plastique, des couvertures. Ils cherchent de la nourriture, mangeant ce qu’il trouve et évitant d’être mangés… Le froid, l’humidité, la faim, la peur au ventre –toujours creux- les assaillent. Ils sont délabrés, ils sont sales, ils sentent mauvais. Dans un état pire que celui des «hoboes»…

Ils se dirigent vers le sud pour rejoindre la mer.
Leur seule planche de salut. Leur seule espérance, symbolisée par le bleu azur de cette mer qu'ils verront, enfin..., tranchant sur les jours sombres, et les nuits noires. C’est si peu demandé… et c’est si durement gagné. Hélas, trois fois hélas, ils aboutiront sur un sinistre rivage, battu par les vents, balayé par un puissant ressac, face à une mer hostile couleur d’encre. Coincés, sans retour, au fond d’une impasse. Dead end.

Réclamer, bâtir, détruire: en trois générations.
Celle de Jack London, celle de Jack Kerouac, et la nôtre avec son incurie. Si la tendance se maintient… une catastrophe pourrait bien se produire. McCarthy serait-il un visionnaire? Nous sert-il un coup de semonce? La terre n’a pas besoin de l’homme pour continuer, c’est le contraire! «Nous souhaitons tous, dit Hubert Reeves, que les êtres humains prennent en main leur propre sort pour arrêter cet engrenage de la détérioration.»

La «non-histoire», si je puis dire ainsi, est rendue par une écriture qui la répercute et l'amplifie. Et qui accentue sa charge émotionnelle. Une écriture sèche, saccadée. Des phrases courtes, à bout de souflle. Des dialogues brefs, répétitifs. Le texte dégage une musique a cappella, scandée comme une litanie.

Les deux «pénitents» s'avancent couverts de cendres, victimes expiatoires des destructeurs de leur monde. Au bout de leur horrible «pélerinage», ils paieront de leur vie ce que d'autres ont détruit avant eux.
Un lourd tribut exigé de la part d'un enfant innocent, qui ne sait rien du monde d'avant, du monde du gaspillage, de l'écurie et de la violence. Un enfant qui ne verra pas la mer bleu azur...

mercredi 10 juin 2009

On the Road... again. La filière américaine (2)

Jack London publiait en 1907, The Road. Cinquante ans plus tard, en 1957, Jack Kerouac publiait On the Road, écrit entre 1948-1956. Ce titre même est un hommage à son prédécesseur, le «Pionnier de la Route». Il adoptera le même prénom, Jack. Son véritable prénom est Jean-Louis; pour sa mère, vers qui il reviendra sans cesse, il est et restera «Ti-Jean». Son patronyme est Kérouac, avec l’accent aigu…

Jack London avait rédigé un carnet de notes qui lui a servi pour The Road; c’est avec ce premier roman qu’il débute sa carrière littéraire, qu’il se découvre écrivain. Une carrière prolifique! Jack Kerouac, quant à lui, avait déjà publié un roman en 1950, The Town and the City -Avant la route- salué par la critique. Sa carrière était donc amorcée, et il savait depuis toujours, pour ainsi dire, qu’il serait un écrivain.
L’«armée» de chômeurs et de laissés-pour-compte du «général» Kelly , que London rejoignit , réclamait des routes… et du travail.

Kerouac, lui, errait sur les routes américaines dont la mythique 66 reliant Chicago à Los Angeles, se déplaçant en auto-stop, mais aussi montant à bord de wagons de marchandises comme London.
Les temps ont changé, mais la jeunesse reste éprise de liberté, et du désir de prendre le large. Inscrits dans la même filière américaine, les deux Jack sont des vagabonds, des marginaux des «tramps», des «bums». Tous deux racontent leur errance, leurs amitiés et rencontres, leurs émotions et réflexions. London met en scène Jack-the-Sailor, son double; et Kerouac, Dean Moriary, nul autre que Neal Cassidy, et Sal Paradise, son double. Le contenu de l’un est plutôt «soft», et celui de l’autre est plutôt «hard»-surtout, il va sans dire, le texte original, non épuré. London écrit en slang , dans un style parlé, spontané, familier, alors que Kerouac raconte, romance, dans un tempo jazz, en battant la mesure, dans un style personnel. Ce beat résonnera à l’oreille et au cœur de la génération d’après-guerre.

The Road touchera des millions de lecteurs. Il inspirera toute une jeunesse qui prendra la route, le livre sous le bras. C’est une œuvre majeure de la littérature américaine, d’une originalité sans pareille. Elle marquera toute une génération nommée la «Beat Generation». J’y reviendrai dans un autre billet.
Dans le prochain, ce sera Cormac McCarthy qui terminera la trilogie.

lundi 8 juin 2009

Extraits de The Road de Jack London (3)

La suite... On ne peut qu'être touché par ce récit d'une sincérité désarmante... et touchante. Laissez-vous emporter!
7. Road-Kids and Gay-Cats. «Every once in a while, in newspapers, magazines, and biographical dictionaries, I run upon sketches of my life, wherein, delicately phrased, I learn that it was in order to study sociology that I became a tramp. This is very nice and thoughtful of the biographers, but it is inaccurate. I became a tramp — well, because of the life that was in me, of the wanderlust in my blood that would not let me rest. Sociology was merely incidental; it came afterward, in the same manner that a wet skin follows a ducking. I went on "The Road" because I couldn't keep away from it; because I hadn't the price of the railroad fare in my jeans; because I was so made that I couldn't work all my life on "one same shift"; because — well, just because it was easier to than not to. […] On the sand-bar above the railroad bridge we fell in with a bunch of boys likewise in swimming. Between swims we lay on the bank and talked. They talked differently from the fellows I had been used to herding with. It was a new vernacular. They were road-kids, and with every word they uttered the lure of The Road laid hold of me more imperiously. […] "Talkin' of 'poke- outs,' wait till you hit the French country out of Montreal — not a word of English — you say, 'Mongee, Madame, mongee, no spika da French,' an' rub your stomach an' look hungry, an' she gives you a slice of sow-belly an' a chunk of dry 'punk."' And I continued to lie in the sand and listen. […]Road-kids are nice little chaps — when you get them alone and they are telling you "how it happened"; but take my word for it, watch out for them when they run in pack. Then they are wolves, and like wolves they are capable of dragging down the strongest man. […] "Gay-cats" also come to grief at the hands of the road-kids. In more familiar parlance, gay-cats are short-horns, chechaquos, new chums, or tenderfeet. A gay-cat is a newcomer on The Road who is man-grown, or, at least, youth-grown. A boy on The Road, on the other hand, no matter how green he is, is never a gay-cat; he is a road-kid or a "punk," and if he travels with a " profesh, " he is known possessively as a "prushun." I was never a prushun, for I did not take kindly to possession. I was first a road-kid and then a profesh. Because I started in young, I practically skipped my gay-cat apprenticeship. […] The Road had gripped me and would not let me go; and later, when I had voyaged to sea and done one thing and another, I returned to The Road to make longer flights, to be a "comet" and a profesh, and to plump into the bath of sociology that wet me to the skin.» Because... Jack London s'explique sans détour. Que les aimables thuriféraires rangent leur encensoir! Que les cornes poussent aux redresseurs de tort, de tout acabit. Bref, qu'on se le tienne pour dit... et une fois pour toutes!
8. Two Thousand Stiffs. «A "stiff" is a tramp. It was once my fortune to travel a few weeks with a "push" that numbered two thousand. This was known as "Kelly's Army." Across the wild and woolly West, clear from California, General Kelly and his heroes had captured trains; but they fell down when they crossed the Missouri and went up against the effete East. The East hadn't the slightest intention of giving free transportation to two thousand hoboes. Kelly's Army lay helplessly for some time at Council Bluffs. The day I joined it, made desperate by delay, it marched out to capture a train. […] Being the latest recruit, I was in the last company, of the last regiment, of the Second Division, and, furthermore, in the last rank of the rear-guard. […] I kept a diary on part of the trip, and as I read it over now I note one persistently recurring phrase, namely, "Living fine." We did live fine. We even disdained to use coffee boiled in water. We made our coffee out of milk, calling the wonderful beverage, if I remember rightly, "pale Vienna." […] Somebody told me that Quincy was the richest town of its size in the United States. When I heard this, I was immediately overcome by an irresistible impulse to throw my feet. No "blowed-in-the-glass profesh" could possibly pass up such a promising burg. I crossed the river to Quincy in a small dug- out; but I came back in a large riverboat, down to the gunwales with the results of my thrown feet. […]I told a thousand "stories" to the good people of Quincy, and every story was "good"; but since I have come to write for the magazines I have often regretted the wealth of story, the fecundity of fiction, I lavished that day in Quincy, Illinois. […] As a sample of life on The Road, I make the following quotation from my diary of the several days following my desertion. […]"Tuesday, May 29th. Arrived in Chicago at 7 A.M. . . . " […]» Jack London quitte l'armée en désertant, et mettra fin à sa vie de vagabondage. Rappelons qu'il nous décrit des faites authentiques reliés à l'histoire socio-économique états-unienne, au moment de la dépression économique des années 1980.
9. Bulls. «If the tramp were suddenly to pass away from the United States, widespread misery for many families would follow. The tramp enables thousands of men to earn honest livings, educate their children, and bring them up God-fearing and industrious. I know. At one time my father was a constable and hunted tramps for a living. The community paid him so much per head for all the tramps he could catch, and also, I believe, he got mileage fees. […] But it's all in the game. The hobo defies society, and society's watch-dogs make a living out of him. It rarely pays to stop and enter into explanations with bulls when they look "horstile." A swift get-away is the thing to do. It took me some time to learn this; but the finishing touch was put upon me by a bull in New York City. […] Now I didn't know anything about the coming of the police; and when I saw the sudden eruption of brass-buttoned, helmeted bulls, each of them reaching with both hands, all the forces and stability of my being were overthrown. Remained only the automatic process to run. And I ran. I didn't know I was running. I didn't know anything. It was, as I have said, automatic. There was no reason for me to run. I was not a hobo. I was a citizen of that community. It was my home town. I was guilty of no wrong-doing. I was a college man. I had even got my name in, the papers, and I wore good clothes that had never been slept in. And yet I ran — blindly, madly, like a startled deer, for over a block. And when I came to myself, I noted that I was still running. It required a positive effort of will to stop those legs of mine.» Dans ce dernier article, on est tenu en haleine par le récit d'aventures, plus périlleuses les une que les autres. Il en réchappera... par chance. Le vagabond, ce «mangeur de durs», vivant à la dure, tirera des leçons de sa courte vie de hobo. Il en gardera une soif inassouvie de liberté, et un penchant marqué pour la justice sociale.
Jack London, le «Pionnier de la route» ouvre avec The Road le chemin à un autre style de vagabondage, celui de Jack Kerouac.
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Visitez le site français sur Jack London. Complet et intéressant.

samedi 6 juin 2009

Extraits de The Road de Jack London (2)

Je vous présente, aujourd'hui, les neuf articles, aux titres évocateurs, qui composent The Road de Jack London. Des extraits et de brefs commentaires vous donneront une idée du contenu. Ce sont des récits simples, naïfs, attachants, et d'une brutale franchise, livrés dans une langue à l'avenant.
1. Confession. «There is a woman in the state of Nevada to whom I once lied continuously, consistently, and shamelessly, for the matter of a couple of hours. I don't want to apologize to her. Far be it from me. But I do want to explain. Unfortunately, I do not know her name, much less her present address. If her eyes should chance upon these lines, I hope she will write to me. [...] » Ce premier paragraphe donne une idée juste de la suite.
2. Holding Her Down. «Barring accidents, a good hobo, with youth and agility, can hold a train down despite all the efforts of the train-crew to "ditch" him — given, of course, night-time as an essential condition. When such a hobo, under such conditions, makes up his mind that he is going to hold her down, either he does hold her down, or chance trips him up. [...] A bad road is usually one on which a short time previously one or several trainmen have been killed by tramps. Heaven pity the tramp who is caught "underneath" on such a road — for caught he is, though the train be going sixty miles an hour. [...] ». Vous verrez que ces voyageurs sans billet, ces «brûleurs de dur» mènent une vie dangereuse. Il vaut mieux être jeune et agile, et développer d'habiles techniques. Et les cheminots y risquent leur vie. C'est la jungle, quoi! Le Far-West!
3. Pictures. «Perhaps the greatest charm of tramp-life is the absence of monotony. In Hobo Land the face of life is protean — an ever changing phantasmagoria, where the impossible happens and the unexpected jumps out of the bushes at every turn of the road. The hobo never knows what is going to happen the next moment; hence, he lives only in the present moment. He has learned the futility of telic endeavor, and knows the delight of drifting along with the whimsicalities of Chance. [...] The day was done — one day of all my days. To-morrow would be another day, and I was young.» Voici un intermède, agréable, dans la vie du hobo, qui illustre sa philosophie: vivre au jour le jour, sans souci du lendemain.
4. Pinched. «I rode into Niagara Falls in a "side-door Pullman," or, in common parlance, a box-car. A flat-car, by the way, is known amongst the fraternity as a "gondola," with the second syllable emphasized and pronounced long. But to return. I arrived in the afternoon and headed straight from the freight train to the falls. Once my eyes were filled with that wonder-vision of down-rushing water, I was lost. [...] Somehow, I had a "hunch" that Niagara Falls was a "bad" town for hoboes, and I headed out into the country. [...] As I came along the quiet street, I saw three men coming toward me along the sidewalk. They were walking abreast. Hoboes, I decided, like myself, who had got up early. In this surmise I was not quite correct. I was only sixty-six and two-thirds per cent correct. The men on each side were hoboes all right, but the man in the middle wasn't. I directed my steps to the edge of the sidewalk in order to let the trio go by. But it didn't go by. At some word from the man in the centre, all three halted, and he of the centre addressed me.» C'était un policier... un homme de droite... Jack raconte comment il s'est fait «pincer». Il écrit: «I saw with my own eyes, there in that prison, things unbelievable and monstrous. [...]» C'est en homme indigné qu'il quittera la sordide cage à hobos pour se rendre purger sa peine aux États-Unis. Ce ne sera guère mieux...
5. The Pen. «For two days I toiled in the prison-yard. It was heavy work, and, in spite of the fact that I malingered at every opportunity, I was played out. This was because of the food. No man could work hard on such food. Bread and water, that was all that was given us. Once a week we were supposed to get meat; but this meat did not always go around, and since all nutriment had first been boiled out of it in the making of soup, it didn't matter whether one got a taste of it once a week or not. [...] Life was not monotonous in the Pen. Every day something was happening: men were having fits, going crazy, fighting, or the hall-men were getting drunk. [...] «I was watching my chance all the time for a get-away. From some hobo on the drag I managed to learn what time a certain freight pulled out. I calculated my time accordingly. When the moment came, my pal and I were in a saloon. Two foaming shupers were before us. I'd have liked to say good-by. He had been good to me. But I did not dare. I went out through the rear of the saloon and jumped the fence. It was a swift sneak, and a few minutes later I was on board a freight and heading south on the Western New York and Pennsylvania Railroad.» Dure, dure, la vie à Sing Sing, quoique pas ennuyeuse... Aussitôt libéré, Jack London n'a qu'une seule idée en tête: «sacrer le camp». Il saute donc à bord d'un wagon de marchandises, direction Sud. Vivre en toute liberté, nez au vent, rien dans les poches!
6. Hoboes That Pass in the Night. «In the course of my tramping I encountered hundreds of hoboes, whom I hailed or who hailed me, and with whom I waited at water-tanks, "boiled-up," cooked "mulligans," "battered" the "drag" or "privates," and beat trains, and who passed and were seen never again. On the other hand, there were hoboes who passed and re-passed with amazing frequency, and others, still, who passed like ghosts, close at hand, unseen, and never seen. It was one of the latter that I chased clear across Canada over three thousand miles of railroad, and never once did I lay eyes on him. His "monica" was Skysail Jack. I first ran into it at Montreal. […] (on October 15, 1894) «"General" Kelly, with an army of two thousand hoboes, lay in camp at Chautauqua Park, several miles away. The after-push we were with was General Kelly's rearguard, and, detraining at Council Bluffs, it started to march to camp. The night had turned cold, and heavy wind-squalls, accompanied by rain, were chilling and wetting us. Many police were guarding us and herding us to the camp. The Swede and I watched our chance and made a successful get-away. […] » Jack London parle dans cet article ainsi que dans le huitième de l’«armée» du «Général Kelly». Il y décrit ses déplacements et difficultés, ses contacts avec la population. L’armée, c’est l’armée avec sa discipline. Un régime qui ne convient pas à Jack-le-matelot… Il y mettra donc fin en peu de temps.
À suivre... sans faute...
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vendredi 5 juin 2009

On the Road. La filière américaine (1)

Dans le billet précédent, je vous proposais de lire d'abord l'essai de Victor-Lévy Beaulieu sur Jack Kerouac avant de lire le roman de celui-ci, On the Road-Sur la route. Pourquoi donc? Il m'apparaît essentiel de situer ce roman dans la filière américaine et dans l'oeuvre de l'auteur afin d'en saisir toute la portée.
Dans la filière américaine: trois auteurs, trois livres incontournables. Le premier à prendre la route est Jack London; son livre: The Road. Jack Kerouac suivra quelque 50 ans plus tard avec On the Road -titré ainsi en hommage à Jack London. Et aujourd'hui, c'est Cormac McCarthy qui, avec The Road, prend le chemin de l'apocalypse avec ses deux personnages, père et fils, une véritable déroute. Et... mes billets, qui se suivront à la file indienne, seront autant de bornes sur le chemin de la lecture.


Jack London. En 1907, il publie The Road. C'est le récit des aventures et des vagabondages de Jack-le-matelot -un double de l'auteur-, récit inspiré de faits authentiques. En effet, en mai 1893, une «armée industrielle», soit un groupe formé de millers de chômeurs et de laissés-pour-compte confrontés à une sévère crise économique, marche sur Washington. Commandée par le «général» Kelly, cette «armée» veut forcer le gouvernement à construire des routes à travers le pays. Sans le sou, les chômeurs montent, illégalement, dans des wagons de marchandises. Parmi ceux-ci, Jack London qui eu l'idée de tenir un journal de bord, un inédit est publié sous le titre Carnet du Trimard par les Éditions Tallandier, en 2007.

Toutefois, il quitte le groupe de chômeurs peu après pour vagabonder, et mener une vie de «hobo», jusqu'à son arrestation à Niagara Falls, en juin 1984, et son dur séjour dans une prison de Buffalo. S'appuyant sur son carnet de bord, expériences et vagabondages, Jack London écrivit On the Road, quatorze ans plus tard. Il venait ainsi d'entrer en littérature et d'opter pour le socialisme. Le vent de liberté, le goût de prendre la route, la sensibilité à la misère et à l'injustice sociale dont est empreint On the Road marqueront les esprits et inspireront la jeunesse revendicatrice, et Jack Kerouac...

On peut lire le livre au complet, composé de 9 articles, sur le site:http://london.sonoma.edu/Writings/TheRoad/index.html.

Je vous en donne un avant-goût dans le billet qui suit. A+! Bye!
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Psitt! Des vieux termes pour exprimer des choses, alors nouvelles, révolutionnaires même. Trimard (de trimer): une route, un chemin. Trimarder, vagabonder sur les routes. Trimardeur, un nomade, un vagabond. Merci, cher Petit Robert!