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mardi 31 mars 2009

Hommage à toi, Jean Moulin!

Je vous signale ici deux hommages qui ont été rendu à ce héros de la Résistance française.

De son vivant, le général Charles de Gaule lui a discrètement (dans son salon de Hampstead, banlieue de Londres) épinglé la croix de la Libération, en mars 43. C'est ce que j'ai appris en lisant Max. «Caporal Mercier, nous vous reconnaissons comme notre compagnon, pour la libération de la France, dans l'honneur et par la victoire.» lit-on à la p.84. L'auteur note que « de Gaule a employé le pseudonyme précédent de Moulin.» Plus loin, on lit: «Cette croix, elle est accrochée à l'âme de mon père et de mon grand-père qui vivent en moi. Ce ne sont pas des honneurs qui viennent de m'échoir mais la mission d'humanité la plus haute qui m'a été assignée. Sans grandiloquence.»

Vingt après sa mort, le 19 décembre 1964, André Malraux (ministre d'état aux affaires culturelles) prononça un vibrant et émouvant discours lors du transfert des Cendres de Jean Moulin du cimetière du Père-Lachaise au Panthéon. Un discours-hommage immense qui reste gravé dans la mémoire. Écoutez le discours de Malraux, s'adressant au Président de la République, Charles de Gaule. Lisez son discours. Vous en serez profondément touché, peut-être même chaviré. Pour entendre le discours: www.youtube.com/watch?v=6JQAhUGbUsE

«Comme Leclerc entra aux Invalides, avec son cortège d'exaltation dans le soleil d'Afrique, entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé ; avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses ; avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l'un des nôtres. Entre, avec le peuple né de l'ombre et disparu avec elle - nos frères dans l'ordre de la Nuit... Commémorant l'anniversaire de la Libération de Paris, je disais : « Écoute ce soir, jeunesse de mon pays, ces cloches d'anniversaire qui sonneront comme celles d'il y a quatorze ans. Puisses-tu, cette fois, les entendre : elles vont sonner pour toi. » L'hommage d'aujourd'hui n'appelle que le chant qui va s'élever maintenant, ce Chant des partisans que j'ai entendu murmurer comme un chant de complicité, puis psalmodier dans le brouillard des Vosges et les bois d'Alsace, mêlé au cri perdu des moutons des tabors, quand les bazookas de Corrèze avançaient à la rencontre des chars de Rundstedt lancés de nouveau contre Strasbourg. Écoute aujourd'hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le Chant du Malheur. C'est la marche funèbre des cendres que voici. À côté de celles de Carnot avec les soldats de l'an II, de celles de Victor Hugo avec les Misérables, de celles de Jaurès veillées par la Justice, qu'elles reposent avec leur long cortège d'ombres défigurées. Aujourd'hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n'avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France...» Pour le lire le discours au complet, suivez le lien : http://212.234.185.8/IMG/arton670.jpg

lundi 23 mars 2009

Les Grenadines repentantes

On ne dira jamais assez l'horreur de la guerre. On ne dira jamais assez l'horreur de la Grande Guerre (1914-1918), du moins pour les soldats et les civils. Vous avez déjà vu ces images de combattants dans les tranchées où la grenade lancée, de part et d'autre des lignes de feu, n'est pas un fruit? Ils ne sont pas dans un verger, mais dans d'effroyables jardins, dévastés. Que ne rêvent-ils pas de Grenade? de leur Grenade à eux?

«On leur avait pourtant promis une guerre de quelques semaines. Ce fut en réalité quatre longues années aux confins de la barbarie et de la bestialité. Un voyage au bout de la nuit sur lequel les soldats ont énormément écrit. Une forme de thérapie pour tenter d'exorciser l'horreur.»* Que pouvait-on donc écrire le poète-soldat Guillaume Apollinaire, si ce n'est des poèmes? En 1918, il publie au Mercure de France «Calligrammes, poèmes de la paix et de la guerre 1913-1916», qui contient justement, des calligrammes. Les deux vers cités en exergue d'Effroyables Jardins nous indiquent que Michel Quint a tiré ce titre de Calligrammes. Voici le poème au complet:

Les Grenadines repentantes

En est-il donc deux dans Grenade / Qui pleurent sous ton seul péché

Ici l'on jette la grenade / Qui se change en œuf coché

Puisqu'il en naît des cops Infante / Entends-les chanter leurs dédains

Et que la grenade est touchante / Dans nos jardins effroyables

De l'humour noir, reprochent certains. Dans Céline, Voyage au bout de la nuit (1932), on en trouve également. Vous en conviendrez avec moi : il est plus supportable de lire Apollinaire que Céline!

*source: Les Poilus et les tranchées: http://www.histoire-en-questions.fr/premiere%20guerre%20mondiale/lespoilusaccueil.html. Un autre site à consulter: http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/poilus.html

mercredi 18 mars 2009

Le Pont, une invention romanesque?

Un dimanche après-midi –que j'imagine ensoleillée- la famille, l'oncle Gaston et sa Nicole s'entassent dans la guimbarde jaune canari pour se rendre au cinéma. À l'affiche «Le Pont» de Bernhard Vicki. Le narrateur-auteur en dit peu de chose. Une fois le livre refermé et l'émotion passée, je me suis demandée si ce film était une invention romanesque. Ce film, c'est le pivot du récit ou, si vous préférez, un élément déclencheur. Il joue donc un rôle primordial. Bref, je me demande… je cherche… je trouve. Que c'est beau d'être trouveuse! Une invention romanesque: vrai ou faux?

C'est faux! Le film existe bel et bien. Bernhard Vicky est un réalisateur de cinéma et un acteur allemand (1919-2000). Soldat durant la Deuxième guerre mondiale, il a combattu en France. Bernd, c'est bien lui! Voyez un extrait vidéo: http://www.dailymotion.com/video/x3b9z3_le-pont-bernhard-wicki_shortfilms. Voyez l'insoutenable stupidité... Tiens, ça me fait penser à Céline, «Voyage au bout de la nuit». Et vous? On saisit mieux, ensuite, l'importance de cette simple phrase à la fin de la dédicace d'Effroyables Jardins: «Et à la mémoire de Bernhard Vicky

vendredi 13 mars 2009

Voici le début d'Effroyables Jardins

«Certains témoins mentionnent qu'aux derniers jours du procès de Maurice Papon, la police a empêché un clown de rentrer dans la salle d'audience. Il semble que ce même jour, il ait attendu la sortie de l'accusé et l'ait considéré à distance sans chercher à lui adresser la parole. L'ancien secrétaire général de la préfecture a peut-être remarqué ce clown mais rien n'est moins sûr. Par la suite l'homme est revenu régulièrement sans son déguisement à la fin des audiences et des plaidoiries. À chaque fois, il posait sur ses genoux une mallette dont il caressait le cuir tout éraflé. Un huissier se souvient de l'avoir entendu dire après que le verdict fut tombé: - Sans vérité, comment peut-il y avoir de l'espoir…?

Et sans mémoire? Des lois de Vichy: 17 juillet 40, concernant l'accès aux emplois dans les administrations publiques, du 14 octobre 40 relatives aux ressortissants étrangers de race juive, du 13, la veille, portant sur le statut des juifs, du 23 juillet 40, relatives à la déchéance de la nationalité à l'égard des Français qui ont quitté la France, tous ces actes où Pétain commence par «Nous, Maréchal de France…», et cette autre loi qui me touche, du 6 juin 42, interdisant aux juifs d'exercer la profession de comédien…

Je ne suis pas juif. Ni comédien. Mais…

Aussi loin que je puisse retourner, aux époques où je passais encore debout sous les tables, avant même de savoir qu'ils étaient destinés à faire rire, les clowns m'ont déclenché le chagrin. Des désires de larmes et de déchirant désespoirs, de cuisantes douleurs, et de honte de paria.

Plus que tout, j'ai détesté les augustes. Plus que l'huile de foie de morue, les bises aux vieilles parentes moustachues et le calcul mental, plus que n'importe quelle torture d'enfant. À dire au plus près l'exact du sentiment, au temps de mon innocence (…)

lundi 9 mars 2009

Effroyables Jardins

En complément à la lecture de Max, je vous invite à lire Effroyables Jardins. Ce sont les deux côtés de la même médaille!
Effroyables Jardins
Michel Quint, Éditions Gallimard (collection Folio), 2004, 63 pages

«De fait, je le sais aujourd'hui, il méritait la distinction, la légion d'honneur de la reconnaissance, et ceux qui croisaient au trottoir son regard doux auraient dû se découvrir.Parce que lui, il a passé sa vie à rendre hommage, à payer sa dette d'humanité, le plus dignement qu'il croyait.» écrit l'auteur en parlant de son père, à la page 18.

Une fois ses parents en allés, le narrateur-auteur ressasse ses souvenirs et raconte son histoire. Tout jeune enfant, il détestait déjà les augustes, qui le remplissaient de tristesse, sans qu'il ne sache pourquoi. Alors, imaginez quand il verra son père, instituteur, se déguiser en clown… et donner des spectacles. Un mauvais clown, ridicule, qui ne rate pas une occasion. Comme si ce n'était pas assez, toute la famille assiste à ses prestations, et s'y rend dans une vieille bagnole jaune canari! Comme si ce n'était pas encore assez, tous les congés y passent. Il aurait voulu se voir ailleurs: on le comprend! Aussi, l'enfant a honte de son père et de sa famille ainsi que de l'oncle Gas
ton et sa Nicole, de drôles de pistolets! Une famille pas comme les autres! Mais, sa honte se changera en admiration affectueuse lorsque Gaston lui dévoilera le secret familial. À vous de le découvrir… et d'entrer dans ces effroyables jardins!

Ce récit, aussi percutant que bref, se lit d'une seule venue. Il semble, d'ailleurs, avoir été écrit d'un seul souffle. On a l'impression d'être en présence même du narrateur-auteur qui nous fait des confidences à demi-voix. Il nous raconte son enfance teintée de tristesse –à cause des augustes et de son père-clown– ainsi que des anecdotes familiales, parfois loufoques. Des vies, des «petites vies», qui sont, pourtant, en résonance avec des faits d'armes de résistants anonymes (contrairement à Max) qui, multipliés, ont contribué à la libération de la France sous l'occupation. Un récit, simple et sincère, émouvant –sans être larmoyant. Des dialogues d'une justesse sans faille. Une écriture limpide, imagée. En somme, un roman qui saura vous émouvoir, vous faire (mieux) connaître ce que l'Histoire doit à la petite histoire de gens «ordinaires». Un roman qui vous restera en mémoire. Et le tout livré dans une soixantaine de pages.

// Note. L'introduction vous laissera, peut-être, dubitatif. Poursuivez votre lecture: la fin du roman viendra éclairer le début, quitte à y revenir. Le jeu en vaut la chandelle, je vous l'assure! Disponible chez Gallimard Montréal, 9,95$ et dans d'autres librairies. http://www.gallimardmontreal.com/books/search?key=effroyables+jardins