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samedi 3 octobre 2009

Qui êtes-vous... Survenant? (2)

Qui êtes-vous... Survenant? (2) «Survenant», personnage du roman «Le Survenant» de Germaine Guèvremont, est un précurseur de Jack Kerouac. Ce n'est pas rien! C'est un homme moderne qui s'inscrit dans la filière américaine formée, dorénavant, de Jack London, «The Road»; de Germaine Guèvremont, «Survenant» ; de Jack Kerouac, «On the Road»; de Cormac McCarthy, «The Road».

Lisons, liserons! Lisons ce roman, un classique de la littérature québécoise, d'un œil nouveau. «Tout le monde en parle», mais qui a lu «Le Survenant», d'une couverture à l'autre. Pour penser, dire, répéter, à tout vent et à tout venant, «c'est un roman du terroir»... c'est le réduire à sa portion congrue (L'avez-vous lu? Avez-vous sauté des pages? Ah! Ah! vous n'avez pas lu mon blogue...). Oui, il y a de «ça»... mais pas seulement «ça» (et le «ça» n'est pas le béret de Roland Barthes). «Survenant»: c'est lui qui est le pivot du roman, c'est sur lui que repose le roman; sans lui, le roman tombe à plat. Nevermind! dirait Survenant, je m'en vas ailleurs... « (...) pas même le temps de changer de hardes et je pars.» Survenant, un homme libre...

Qui êtes-vous... Survenant?
Survenant est un personnage à facettes: bourlingueur, homme de chantier et coureur des bois, aux allures d'Indien. Je poursuivrai, et terminerai en beauté, son portrait. En commençant, comme il se doit, par vous exposer «ma petite idée»...

Descendant du Français Beauchemin dit Petit
Dans les écrits. J'ai cherché, mais je n'ai pas trouvé d'écrits appuyant cette filiation du Survenant. Filiation tout à fait plausible que j'ai déduite du roman lui-même. Laissons donc «parler» le roman. [p.155 à p.158]

Dans le roman: Survenant s'adresse au père Didace: «Beauchemin... c'est comme rien, le premier du nom devait aimer les routes?»
Didace lui répond: «T'as raison, Survenant. Les premiers Beauchemin de notre branche tenaient pas en place. Ils étaient deux frères, un grand, un petit: mieux que deux frères, des vrais amis de cœur. Le grand s'appelait Didace. Le petit j'ai jamais réussi à savoir son petit nom. (...) Ils venaient des vieux pays. L'un et l'autre avaient quitté père, mère et patrie, pour devenir son maître et refaire sa vie. Ah! quand il s'agissait de barauder de bord en bord d'un pays, ils avaient pas leur pareil à des lieues à la ronde. (...) Ils sont arrivés au chenal, tard, en automne, avec, pour tout avoir, leur hache, et leur paqueton sur le dos. Et dans l'idée de repartir au printemps. Seulement pendant l'hiver, le grand s'est épris si fort d'amitié pour une créature qu'il a jamais voulu s'en retourner. (...) Il s'est donc marié, et c'est de même qu'on s'est enraciné au Chenal du Moine».

Alors, Survenant se mit à chantonner une vieille complainte, que Didace entonna à son tour. «Puis il (Didace) continua à raconter:
__ Tout ce qu'on a su de lui, c'est que, par vengeance, il a jamais voulu porter le nom de Beauchemin: Il s'est appelé Petit.
__ Petit! s'exclama le Survenant. Pas Beauchemin dit Petit.
__ Sûrement. Quoi c'est qu'il y a d'étrange là-dedans?
__ Ça me surprend parce qu'il y a eu des Petit dans notre famille.»

«Sa grand-mère était une Petit. Serait-il du même sang que les Beauchemin? À cela rien d'impossible. (...). Il (Survenant) se perdit en réflexions: "Pour refaire sa vie et devenir son maître": c'est ainsi que si peu de Français, par nature casaniers, sont venus s'établir au Canada, au début de la colonie, et que le métayage est impossible au pays. Celui qui décide de sortir complètement du milieu qui l'étouffe est toujours un aventurier. Il ne consentira pas à reprendre ailleurs le joug qu'il a secoué d'un coup sec. Le Français, une fois Canadien, préférerait exploiter un lot de la grandeur de la main qu'un domaine seigneurial dont il ne serait encore que le vassal et que de toujours devoir à quelqu'un foi, hommage et servitude. À son insu, il venait de penser tout haut. Didace n'en fit rien voir. Rempli d'admiration et de respect pour une si savante façon de parler, il écouta afin d'en entendre davantage, mais le Survenant se tut.»

En somme, ce passage est si éloquent qu'il se passe de commentaires. Cependant, il pourrait éclairer la réponse sibylline de Survenant à Amable au sujet de son habilité à réparer des raquettes -moyen de déplacement des Indiens pour marcher dans la neige épaisse.
__ De qui c'est que t'as appris ça, Survenant? lui demanda Amable.
__ De personne. Mon père, mon grand-père, mon arrière-grand-père l'ont appris pour moi. [p.119]

Ce passage pourrait répondre à cette question, toute simple: «De qui peut-il bien retenir (avoir des traits de ressemblance) pour avoir la bougeotte comme ça. Il ne tient pas en place!» Il... Survenant pourrait bien retenir de son ancêtre, Beauchemin dit Petit, venu de France....
Son arrière-grand-père a, probablement, côtoyé des Indiens -des Hurons, des Montagnais- de qui il aura appris beaucoup de choses... confectionner et réparer des raquettes, courir les bois, vivre en accord avec la nature, respirer un air de liberté... Il me semble que «ma petite idée» tient debout... sans avoir à s'appuyer sur un arbre...

Survenant est un personnage complexe et dense, tiraillé par des tensions intérieures.
Yvan G. Lepage écrit: « Le Survenant est un personnage infiniment complexe. Il a beau porter un mackinaw, avoir connu les chantiers et passer pour un «sauvage», il n'en demeure pas moins un homme éminemment moderne. Certes, il ne dédaigne pas la nature, mais c'est la ville qui l'attire, avec ses hôtels et ses plaisirs». [p.13]

Dans mon billet précédent, j'ai établi que Survenant est un coureur des routes, tout comme Jack London «The Road» et Jack Kerouac «On the Road». En cernant de plus près la «personnalité» de Survenant, nous arrivons à saisir pleinement son originalité et sa modernité. On sait que Jack Kerouac est un Canuck qui s'est américanisé, dans une certaine mesure, car il est demeuré essentiellement lui-même, dans sa vie comme dans ses livres, lesquels s'interpénétraient. Survenant, lui, aurait-il une part d'américanité?

Je répondrai à cette question dans mon prochain billet, qui marquera la fin de notre voyage. C'est un rendez-vous...

À très bientôt!

__
* Présentation par Yvan G. Lepage, intitulée «Genèse d'un mythe», p.7-p.17, du roman «Le Survenant» de Germaine Guèvremont, Bibliothèque québécoise, 1990, 219 pages.
**La traduction anglaise aura pour titre: «Monk's Reach» (1950). En américain, le titre sera «The Outlander» (1950). En France, «Le Survenant» sera publié chez Plon, coll. «L'Épi», dirigée par le philosophe et écrivain Gabriel Marcel (1946)
*** Hélène Destrempes et Jean Morency, «Américanité et modernité dans le cycle du Survenant», à l'adresse...
__ Pierre Anctil, «La Franco-Américanie ou le Québec d'en bas», erudit.org
Rappel: L'article de Thomas Flamarion, «Cent ans sous les semelles: Trilogie de l'asphalte: London, Kerouac, Mc Carthy», a inspiré ma démarche.

mercredi 30 septembre 2009

Qui êtes-vous... Survenant? (1)

Qui êtes-vous... Survenant? «Survenant», personnage du roman «Le Survenant» de Germaine Guèvremont, n'est pas un «quêteux»: on s'entend sur ce point. Je l'ai démontré dans mon précédent billet, et je suis certaine que vous en êtes convaincus. Mais «zencore» qui est-il? Nous verrons que Survenant est un homme moderne. Il est bien ce «Grand-dieu-des-routes», comme le désignent, justement, les gens de Chenal-du-Moine. Examinons donc, de plus près, ce qu'il en est.

Qui êtes-vous... Survenant?
Il n'y a pas de réponse simple ni directe à cette question. Survenant a carrément refusé de dire son nom au père Didace Beauchemin. Il a peu dévoilé de sa personne ou de sa vie. De ce fait, il demeure un être mystérieux, ce qui ajoute à son charme. Tout de même, un examen attentif du roman et d'écrits fiables permet d'établir son identité. Pour donner vie au Survenant, Germaine Guèvremont s'est inspirée de plusieurs modèles, et elle «aura longtemps tâtonné avant de créer le personnage inoubliable que nous connaissons (...)», écrit Yvan G. Lepage.*

Un bourlingueur
Dans les écrits: Dans les années 1910, Germaine Guèvremont a connu Bill Nyson: « (...) de cet ardent et aventureux Norvégien émanait une étrange séduction. Germaine avait vingt ans. Comme la Belle au bois dormant, elle attendait impatiemment le Prince charmant. Voilà qu'il faisait son apparition, paré du prestige du bel étranger, riche déjà des expériences que l'on acquiert en voyageant de par le monde.»*
Imaginez une jeune fille dans les années 1910 qui rencontrent un tel homme... il y a de quoi le garder dans son cœur toute sa vie, ce qu'elle fera... en silence. Car, le bel étranger épousera sa sœur aînée, s'enrôlera et retournera en Europe où sévit la Grande Guerre. La terrible Guerre de 1914-1918! Germaine Guèvremont a pris du temps à assumer cet amour secret: Bill Nyson compte pour une bonne part, dans la création de Survenant.*
La romancière a, d'ailleurs, doté Survenant d'une chevelure d'un roux flamboyant, d'une chevelure cuivrée.

Dans le roman: «Il cherchait encore [où il avait mangé du si bon bouilli], dans le vaste monde, nommant aux Beauchemin des villes, des pays aux noms étrangers qui leur étaient entièrement indifférents: le Chenal du Moine leur suffisait.» [p.45].

«Je pense que nulle part, j'ai resté aussi longtemps que par ici. Avant, quand j'avais demeuré un mois à un endroit, c'était en masse. Mais, au Chenal, je sais pas pourquoi.. Peut-être parce qu'il y a de l'eau que j'aime à regarder passer de l'eau qui vient de pays que j'ai déjà vus... de l'eau qui s'en va vers des pays que je verrai, un jour... je sais pas trop...» [p.168]

À propos du cirque venu à Sorel: « (...) Toute la jungle. Et le Far West. L'Asie. L'Afrique. Le monde. Le vaste monde. Et puis la route...» [p.172].

«Un soir, Didace, pour tirer du silence le Survenant évoqua l'épouvantable débâcle du mercredi saint de 1865. Dans le texte, on mentionne 4 fois que Survenant ne bronche pas. «Mais, sans même lever la vue, il se mit à parler à voix basse, comme pour lui-même, de l'animation des grands ports, quand ils s'éveillent à la vie du printemps, et surtout du débardage, un métier facile, d'un bon rapport, sans demander d'apprentissage. Il ne dit pas un mot du danger de l'homme de quai. (...) Il parla du débardage comme d'une personne aimée en qui on ne veut pas voir de défaut.» [p. 122]

Le père Didace demande à Survenant: «Survenant, dis-moi comment c'est que t'es venu à t'arrêter au Chenal?» Il répond: Ben... je finissais de naviguer... J'avais bu mon été... puis l'hiver serait longue...» [p. 159].

En somme, on voit bien que Survenant correspond au portrait du bourlingeur, tels Jack London et Jack Kerouac. Tout comme eux, il use ses semelles à parcourir les routes, chemins de terre, chemins d'asphalte, chemins d'eau... Ces trois bourlingueurs vont à la découverte de pays, de villes et de villages; ils vont à la rencontre des gens. Ils sont ici et là, partout et nulle part: ils sont ailleurs. Ils ont la bougeotte...

Un homme de chantier, un coureur des bois
Dans les écrits. Vers les années 1940, Germaine Guèvremont rencontre Alfred Desrochers. « (...) ce poète et critique littéraire, doublé d'un homme de chantier et d'un coureur des bois peut à bon droit être considéré, de l'aveu même de Germaine Guèvremont, comme le modèle le plus immédiat et le plus accompli du Survenant. (...). Bill Nyson avait envoûté la jeunesse de Germaine Guèvremont; Alfred Desrochers fut l'ami, l'inspirateur et le confident de sa maturité. Le Survenant est issu de la conjonction de ces hommes.» Le roman a été rédigé dans les années 1940, mais l'action se situe dans les années 1909-1910.* **

Dans le roman: «Je vous ai-ti parlé d'un couque dans un chantier du Maine? (...).» [p. 45]

«De la soupe à la perdrix! (...), mais jamais en soupe. Ou encore, comme je l'ai mangée en Abitibi. Le couque (...).» [p.46]

Survenant s'adresse à Amable: «Le bien paternel aura aidé à te pourrir. Avant toi, pour réchapper leur vie, les Beauchemin devaient courir les bois, ou ben ils naviguaient au loin, ou encore ils commerçaient le poisson.» [p.137]

Dès les travaux des champs terminés, Survenant ira à la chasse aux canards avec le père Didace. Au printemps, ils iront à la pêche ensemble. Survenant est tout à fait à l'aise dans ce milieu sauvage; visiblement, il s'y connaît. Il est sensible à la beauté de la nature. «Le Grand-dieu-des-routes renifla l'émotion [p.65]. De longues pages sont consacrées aux activités des deux «coureurs des bois»; à la description de la nature, sa faune, sa flore, ses odeurs, ses couleurs; à l'émotion que sa beauté suscite.
Il n'y a pas de doute, le modèle qui a inspiré, en partie, Germaine Guèvremont, c'est bien Alfred Desrochers (le père de notre Clémence).

Un homme aux allures d'«Indien»
Dans les écrits. L'Indien est un précurseur de Survenant. L'Indien Charles Jones, un personnage de Germaine Guèvremont, revient dans le conte «Un Sauvage ne rit pas», (1943) sous le nom de Johny Giasson. À ce moment-là l'auteure rédige «Le Survenant». Yvan G. Lepage écrit: «Il n'est pas douteux que Charles Jones annonce le Survenant». Germaine Guèvremont ose mettre dans la bouche de la «sage Mélusine» (sage... Ouf! l'honneur est sauf!) «J'aimais tout de lui: j'aimais son langage rude de coureur des bois, j'aimais sa voix aux intonations rauques, et ses cheveux au vent et sa belle tête nerveuse, et le grand corps bronzé qui oscillait comme un arbre dans la tempête.»*

Dans le roman: on se demande si Survenant ne serait pas un «Indien»: «Un jour, il (Survenant) découvrit dans le cabanon une vieille paire de raquettes qu'il voulut remettre en bon état... Il montra, à redresser le nerf, une adresse rare, et inconnu des gens du Chenal.
__ De qui c'est que t'as appris ça, Survenant? lui demanda Amable.
__ De personne. Mon père, mon grand-père, mon arrière-grand-père l'ont appris pour moi.
Sans se lasser, Didace le regardait travailler. Une fois de plus, l'origine de l'étranger l'obséda. Serait-il descendant d'Indien? Sa complexion de highlander le niait, mais son habilité et diverses caractéristiques l'affirmaient comme tel.» [p.119]

Didace doute... et nous aussi. La réponse de Survenant est ambigüe, la réflexion de Didace embrouille les pistes. J'ai ma petite idée à ce sujet... Vous verrez...
Ne manquez pas mon billet de demain...

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* Présentation par Yvan G. Lepage, intitulée «Genèse d'un mythe», p.7-p.17, du roman Le Survenant de Germaine Guèvremont, Bibliothèque québécoise, 1990, 219 pages.
**La traduction anglaise aura pour titre: «Monk's Reach» (1950). En américain, le titre sera «The Outlander» (1950). En France, «Le Survenant» sera publié chez Plon, coll. «L'Épi», dirigée par le philosophe et écrivain Gabriel Marcel (1946)
*** Hélène Destrempes et Jean Morency, «Américanité et modernité dans le cycle du Survenant», à l'adresse: suivante: http://id.erudit.org/iderudit/018670ar
Rappel:
L'article de Thomas Flamarion, «Cent ans sous les semelles: Trilogie de l'asphalte: London, Kerouac, Mc Carthy», a inspiré ma démarche.