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mercredi 30 septembre 2009

Qui êtes-vous... Survenant? (1)

Qui êtes-vous... Survenant? «Survenant», personnage du roman «Le Survenant» de Germaine Guèvremont, n'est pas un «quêteux»: on s'entend sur ce point. Je l'ai démontré dans mon précédent billet, et je suis certaine que vous en êtes convaincus. Mais «zencore» qui est-il? Nous verrons que Survenant est un homme moderne. Il est bien ce «Grand-dieu-des-routes», comme le désignent, justement, les gens de Chenal-du-Moine. Examinons donc, de plus près, ce qu'il en est.

Qui êtes-vous... Survenant?
Il n'y a pas de réponse simple ni directe à cette question. Survenant a carrément refusé de dire son nom au père Didace Beauchemin. Il a peu dévoilé de sa personne ou de sa vie. De ce fait, il demeure un être mystérieux, ce qui ajoute à son charme. Tout de même, un examen attentif du roman et d'écrits fiables permet d'établir son identité. Pour donner vie au Survenant, Germaine Guèvremont s'est inspirée de plusieurs modèles, et elle «aura longtemps tâtonné avant de créer le personnage inoubliable que nous connaissons (...)», écrit Yvan G. Lepage.*

Un bourlingueur
Dans les écrits: Dans les années 1910, Germaine Guèvremont a connu Bill Nyson: « (...) de cet ardent et aventureux Norvégien émanait une étrange séduction. Germaine avait vingt ans. Comme la Belle au bois dormant, elle attendait impatiemment le Prince charmant. Voilà qu'il faisait son apparition, paré du prestige du bel étranger, riche déjà des expériences que l'on acquiert en voyageant de par le monde.»*
Imaginez une jeune fille dans les années 1910 qui rencontrent un tel homme... il y a de quoi le garder dans son cœur toute sa vie, ce qu'elle fera... en silence. Car, le bel étranger épousera sa sœur aînée, s'enrôlera et retournera en Europe où sévit la Grande Guerre. La terrible Guerre de 1914-1918! Germaine Guèvremont a pris du temps à assumer cet amour secret: Bill Nyson compte pour une bonne part, dans la création de Survenant.*
La romancière a, d'ailleurs, doté Survenant d'une chevelure d'un roux flamboyant, d'une chevelure cuivrée.

Dans le roman: «Il cherchait encore [où il avait mangé du si bon bouilli], dans le vaste monde, nommant aux Beauchemin des villes, des pays aux noms étrangers qui leur étaient entièrement indifférents: le Chenal du Moine leur suffisait.» [p.45].

«Je pense que nulle part, j'ai resté aussi longtemps que par ici. Avant, quand j'avais demeuré un mois à un endroit, c'était en masse. Mais, au Chenal, je sais pas pourquoi.. Peut-être parce qu'il y a de l'eau que j'aime à regarder passer de l'eau qui vient de pays que j'ai déjà vus... de l'eau qui s'en va vers des pays que je verrai, un jour... je sais pas trop...» [p.168]

À propos du cirque venu à Sorel: « (...) Toute la jungle. Et le Far West. L'Asie. L'Afrique. Le monde. Le vaste monde. Et puis la route...» [p.172].

«Un soir, Didace, pour tirer du silence le Survenant évoqua l'épouvantable débâcle du mercredi saint de 1865. Dans le texte, on mentionne 4 fois que Survenant ne bronche pas. «Mais, sans même lever la vue, il se mit à parler à voix basse, comme pour lui-même, de l'animation des grands ports, quand ils s'éveillent à la vie du printemps, et surtout du débardage, un métier facile, d'un bon rapport, sans demander d'apprentissage. Il ne dit pas un mot du danger de l'homme de quai. (...) Il parla du débardage comme d'une personne aimée en qui on ne veut pas voir de défaut.» [p. 122]

Le père Didace demande à Survenant: «Survenant, dis-moi comment c'est que t'es venu à t'arrêter au Chenal?» Il répond: Ben... je finissais de naviguer... J'avais bu mon été... puis l'hiver serait longue...» [p. 159].

En somme, on voit bien que Survenant correspond au portrait du bourlingeur, tels Jack London et Jack Kerouac. Tout comme eux, il use ses semelles à parcourir les routes, chemins de terre, chemins d'asphalte, chemins d'eau... Ces trois bourlingueurs vont à la découverte de pays, de villes et de villages; ils vont à la rencontre des gens. Ils sont ici et là, partout et nulle part: ils sont ailleurs. Ils ont la bougeotte...

Un homme de chantier, un coureur des bois
Dans les écrits. Vers les années 1940, Germaine Guèvremont rencontre Alfred Desrochers. « (...) ce poète et critique littéraire, doublé d'un homme de chantier et d'un coureur des bois peut à bon droit être considéré, de l'aveu même de Germaine Guèvremont, comme le modèle le plus immédiat et le plus accompli du Survenant. (...). Bill Nyson avait envoûté la jeunesse de Germaine Guèvremont; Alfred Desrochers fut l'ami, l'inspirateur et le confident de sa maturité. Le Survenant est issu de la conjonction de ces hommes.» Le roman a été rédigé dans les années 1940, mais l'action se situe dans les années 1909-1910.* **

Dans le roman: «Je vous ai-ti parlé d'un couque dans un chantier du Maine? (...).» [p. 45]

«De la soupe à la perdrix! (...), mais jamais en soupe. Ou encore, comme je l'ai mangée en Abitibi. Le couque (...).» [p.46]

Survenant s'adresse à Amable: «Le bien paternel aura aidé à te pourrir. Avant toi, pour réchapper leur vie, les Beauchemin devaient courir les bois, ou ben ils naviguaient au loin, ou encore ils commerçaient le poisson.» [p.137]

Dès les travaux des champs terminés, Survenant ira à la chasse aux canards avec le père Didace. Au printemps, ils iront à la pêche ensemble. Survenant est tout à fait à l'aise dans ce milieu sauvage; visiblement, il s'y connaît. Il est sensible à la beauté de la nature. «Le Grand-dieu-des-routes renifla l'émotion [p.65]. De longues pages sont consacrées aux activités des deux «coureurs des bois»; à la description de la nature, sa faune, sa flore, ses odeurs, ses couleurs; à l'émotion que sa beauté suscite.
Il n'y a pas de doute, le modèle qui a inspiré, en partie, Germaine Guèvremont, c'est bien Alfred Desrochers (le père de notre Clémence).

Un homme aux allures d'«Indien»
Dans les écrits. L'Indien est un précurseur de Survenant. L'Indien Charles Jones, un personnage de Germaine Guèvremont, revient dans le conte «Un Sauvage ne rit pas», (1943) sous le nom de Johny Giasson. À ce moment-là l'auteure rédige «Le Survenant». Yvan G. Lepage écrit: «Il n'est pas douteux que Charles Jones annonce le Survenant». Germaine Guèvremont ose mettre dans la bouche de la «sage Mélusine» (sage... Ouf! l'honneur est sauf!) «J'aimais tout de lui: j'aimais son langage rude de coureur des bois, j'aimais sa voix aux intonations rauques, et ses cheveux au vent et sa belle tête nerveuse, et le grand corps bronzé qui oscillait comme un arbre dans la tempête.»*

Dans le roman: on se demande si Survenant ne serait pas un «Indien»: «Un jour, il (Survenant) découvrit dans le cabanon une vieille paire de raquettes qu'il voulut remettre en bon état... Il montra, à redresser le nerf, une adresse rare, et inconnu des gens du Chenal.
__ De qui c'est que t'as appris ça, Survenant? lui demanda Amable.
__ De personne. Mon père, mon grand-père, mon arrière-grand-père l'ont appris pour moi.
Sans se lasser, Didace le regardait travailler. Une fois de plus, l'origine de l'étranger l'obséda. Serait-il descendant d'Indien? Sa complexion de highlander le niait, mais son habilité et diverses caractéristiques l'affirmaient comme tel.» [p.119]

Didace doute... et nous aussi. La réponse de Survenant est ambigüe, la réflexion de Didace embrouille les pistes. J'ai ma petite idée à ce sujet... Vous verrez...
Ne manquez pas mon billet de demain...

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* Présentation par Yvan G. Lepage, intitulée «Genèse d'un mythe», p.7-p.17, du roman Le Survenant de Germaine Guèvremont, Bibliothèque québécoise, 1990, 219 pages.
**La traduction anglaise aura pour titre: «Monk's Reach» (1950). En américain, le titre sera «The Outlander» (1950). En France, «Le Survenant» sera publié chez Plon, coll. «L'Épi», dirigée par le philosophe et écrivain Gabriel Marcel (1946)
*** Hélène Destrempes et Jean Morency, «Américanité et modernité dans le cycle du Survenant», à l'adresse: suivante: http://id.erudit.org/iderudit/018670ar
Rappel:
L'article de Thomas Flamarion, «Cent ans sous les semelles: Trilogie de l'asphalte: London, Kerouac, Mc Carthy», a inspiré ma démarche.