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mercredi 15 décembre 2010

Jack Kerouac Blues - Jean-Noël Pontbriand / Extraits. Poésie

Juste pour vous, et en complément à mon message publié sur Littéranaute, le 16 décembre 2010, voici des extraits du livre de poésie Jack Kerouac Blues de Jean-Noël Pontbriand, publié aux Écrits des forges, l'éditeur de poésie.

On lit sur la quatrième de couverture:
Le présent ouvrage est son neuvième livre de poésie; il nous propose deux lettres-poèmes, l’une tentant de retrouver la parole tue de la mère, l’autre prenant Jack Kérouac à témoin d’un cheminement en poésie.
«Je suis plus seul que moi-même
et plus ombre que ma chair
le lointain m’arrive par une lettre que tu n’as pas
écrite mais qui bouge en ma voix
et dont je me souviens»

«Tu criais dans ton délire Jack
nventais des personnages à ta mesure
confondais le présent avec des bribes de souvenirs
l’échec d’un Québec perdu sans frontières»
Jean-Noël Pontbriand

Bref rappel
Jack Kerouac se présente comme un américano-canadien-français. Mais aussi comme un démocrato-cornoualo-bretono-aristo-iroquo. Il évoque ainsi, en condensé, sa généalogie. et sa multiple identité.
Mère, Gabrielle Lévesque, généreuse, aimante et protectrice, et compréhensive, espèrera, sans cesse, le retour de son Ti-Jean; elle l’accueillera à bras ouverts, et le soutiendra indéfectiblement. Il existait une grande complicité entre elle et Jack, qui exaspérait le père. Elle était une Canadienne française, Iroquoise, née au Québec, qui émigra avec mari et enfants aux États -comme on disait dans le temps.
Jack sera toujours fier de sa mère de sang mêlé qu’il appelle mémère –ce qui est bien canadien-français- avec une tendresse infinie.

Extraits
Jack Kerouac Blues de Jean-Noël Pontbriand.


En exergue
What is the thing called love
Cole Porter chanté par Billie Holiday
Des extraits de la lettre-poème

«En ce temps-là se confondait avec la douceur des astres
chaque étoile oubliée scintillait au fond du puits
Jack Kerouac cherchait son nom sur les routes poudreuses de l’Amérique
le Québec se mourait comme un soleil dans la neige
entre les ruines d’un vaisseau d’or et les ardeurs de l’hiver

l’Amérique flottait au-dessus de nos peurs
les fortunes s’accumulaient au fond des banques et des rêves
New-York était un dinosaure qui s’éveillant
rumeur des banquises et le cri des goélands au-dessus de Manhattan
avec Louis Armstrong éclaté dans une trompette
Billie Holiday courant aux enfers
avec sa voix usée et son en friche
pendant que tu mijotais dans le fons de Lowell Jack comme la bière
avec l’ombre de la mère posée sur tes épaules avec un peu de foklore aux lèvres
et le pied marin pour tout ce qui s’appelle route dont tu rêvais

and somewhere Québec was dying a sun in the snow
[…]

vieux Jack usé comme la misère et confus comme un enfant
ayant perdu la clef la porte le cadenas d’un pays chauve… d’ancêtres et d’histoire
tu ramassais les mots qui tombaient des tables d’Amérique
harcelant la mère comme un amant qui ne sait pas comment s’y prendre
plus perdu que la terre dans l’immensité du cosmos
plus fragile que le verglas plus nu que l’ozone

tous les mots que tu prononçais Jack étaient une plaie qui refuse
de guérir
un aveu qu’on ose avouer
maybe I’m just a Quebebecker who has forgotten his name

pauvre Jack orphelin de langue et de pays
exilé en toi-même avec la mer comme port d’attache et d’aventure
comme fascination
tu courais d’un désert à l’autre
jamais repu jamais rempli malgré le déluge de la bière

tu ne voyais pas venir le jour au fon de ton ivresse
tu n’attendais que l’appel de la route et le sourire de toutes les femmes
tristes comme Billie qui coursait de Chicago à New)york
plus rapide que les camions de la prohibition
plus explosive et tellement belle dans l’auréole de son sourire
que tu ne savais quoi dire Jack

[…]

mais je m'égare encore Jack
je m’éloigne de Lowell de Billie de Louis Armstrong
de Charlie Parker illuminant son saxophone jusqu’à l’épuisement de l’horreur
et de Coltrane mouran d’un trop grand amour
comme le Québec quelque part et comme nous tous
réduisant la marge qui nous sépare de nous-mêmes et l’océan qui nous éloigne de l’éternité
[…]

Vers la fin…
[…]
il n’y a que la démesure qui nous aille comme un gant
et nous sommes comme nous sommes
sans mesure et sans frontière comme le cosmos en expansion
la conscience en évolution jusqu’à elle-même
avec Teilhard en extase comme Cendras le jour de Pâques
chacun sillonnant le monde
auscultant le pouls de la terre la cadence du cœur
et la mesure de l’esprit qui est d’être sans mesure
[…]
nos rêves sont tellement étroits
nos projets ont tant de complaisance pour le malheur
à peine si nous osons lever les yeux

en ce temps-là Jack

le temps des derniers mots
le sommet nu de la dernière ivresse
l’espace infini du cri de la naissance
l’univers éternel qui flotte sur la contingence

nous sommes la contingence même
avec nos attentes portées jusqu’au dernier espace
après la dernière route

nous sommes cet éclatant soleil qui inonde l’univers et pourchasse l’éternité
mais personne n’ose se l’avouer
chacun se contente de ce qu’on attend de lui
chacun rêve de Billie mais personne ne se met en route pour la rencontrer
chacun l’attend en buvant de la bière pour se donner
de l’appérit fumant de l’herbe pour chasser les soucis qui naissent
comme si nous n’étions que des cafards traînant leur ennui dans les coins sombres
et non des dieux sur qui repose le sort du monde
[…]»

Je ne vous ai donné ici qu'un bref aperçu de la lettre-poème. Pour saisir la portée, l'ampleur et la profondeur de la lettre-poème, il est impérieux de la lire au complet.

Offrez-vous ou offrez ce livre: c'est un ravissement!

Pour terminer, écoutons Jack Kerouac jazzer un extrait de On the Road.


À bientôt! Portez-vous bien!