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mercredi 15 décembre 2010

Jack Kerouac Blues - Jean-Noël Pontbriand / Extraits. Poésie

Juste pour vous, et en complément à mon message publié sur Littéranaute, le 16 décembre 2010, voici des extraits du livre de poésie Jack Kerouac Blues de Jean-Noël Pontbriand, publié aux Écrits des forges, l'éditeur de poésie.

On lit sur la quatrième de couverture:
Le présent ouvrage est son neuvième livre de poésie; il nous propose deux lettres-poèmes, l’une tentant de retrouver la parole tue de la mère, l’autre prenant Jack Kérouac à témoin d’un cheminement en poésie.
«Je suis plus seul que moi-même
et plus ombre que ma chair
le lointain m’arrive par une lettre que tu n’as pas
écrite mais qui bouge en ma voix
et dont je me souviens»

«Tu criais dans ton délire Jack
nventais des personnages à ta mesure
confondais le présent avec des bribes de souvenirs
l’échec d’un Québec perdu sans frontières»
Jean-Noël Pontbriand

Bref rappel
Jack Kerouac se présente comme un américano-canadien-français. Mais aussi comme un démocrato-cornoualo-bretono-aristo-iroquo. Il évoque ainsi, en condensé, sa généalogie. et sa multiple identité.
Mère, Gabrielle Lévesque, généreuse, aimante et protectrice, et compréhensive, espèrera, sans cesse, le retour de son Ti-Jean; elle l’accueillera à bras ouverts, et le soutiendra indéfectiblement. Il existait une grande complicité entre elle et Jack, qui exaspérait le père. Elle était une Canadienne française, Iroquoise, née au Québec, qui émigra avec mari et enfants aux États -comme on disait dans le temps.
Jack sera toujours fier de sa mère de sang mêlé qu’il appelle mémère –ce qui est bien canadien-français- avec une tendresse infinie.

Extraits
Jack Kerouac Blues de Jean-Noël Pontbriand.


En exergue
What is the thing called love
Cole Porter chanté par Billie Holiday
Des extraits de la lettre-poème

«En ce temps-là se confondait avec la douceur des astres
chaque étoile oubliée scintillait au fond du puits
Jack Kerouac cherchait son nom sur les routes poudreuses de l’Amérique
le Québec se mourait comme un soleil dans la neige
entre les ruines d’un vaisseau d’or et les ardeurs de l’hiver

l’Amérique flottait au-dessus de nos peurs
les fortunes s’accumulaient au fond des banques et des rêves
New-York était un dinosaure qui s’éveillant
rumeur des banquises et le cri des goélands au-dessus de Manhattan
avec Louis Armstrong éclaté dans une trompette
Billie Holiday courant aux enfers
avec sa voix usée et son en friche
pendant que tu mijotais dans le fons de Lowell Jack comme la bière
avec l’ombre de la mère posée sur tes épaules avec un peu de foklore aux lèvres
et le pied marin pour tout ce qui s’appelle route dont tu rêvais

and somewhere Québec was dying a sun in the snow
[…]

vieux Jack usé comme la misère et confus comme un enfant
ayant perdu la clef la porte le cadenas d’un pays chauve… d’ancêtres et d’histoire
tu ramassais les mots qui tombaient des tables d’Amérique
harcelant la mère comme un amant qui ne sait pas comment s’y prendre
plus perdu que la terre dans l’immensité du cosmos
plus fragile que le verglas plus nu que l’ozone

tous les mots que tu prononçais Jack étaient une plaie qui refuse
de guérir
un aveu qu’on ose avouer
maybe I’m just a Quebebecker who has forgotten his name

pauvre Jack orphelin de langue et de pays
exilé en toi-même avec la mer comme port d’attache et d’aventure
comme fascination
tu courais d’un désert à l’autre
jamais repu jamais rempli malgré le déluge de la bière

tu ne voyais pas venir le jour au fon de ton ivresse
tu n’attendais que l’appel de la route et le sourire de toutes les femmes
tristes comme Billie qui coursait de Chicago à New)york
plus rapide que les camions de la prohibition
plus explosive et tellement belle dans l’auréole de son sourire
que tu ne savais quoi dire Jack

[…]

mais je m'égare encore Jack
je m’éloigne de Lowell de Billie de Louis Armstrong
de Charlie Parker illuminant son saxophone jusqu’à l’épuisement de l’horreur
et de Coltrane mouran d’un trop grand amour
comme le Québec quelque part et comme nous tous
réduisant la marge qui nous sépare de nous-mêmes et l’océan qui nous éloigne de l’éternité
[…]

Vers la fin…
[…]
il n’y a que la démesure qui nous aille comme un gant
et nous sommes comme nous sommes
sans mesure et sans frontière comme le cosmos en expansion
la conscience en évolution jusqu’à elle-même
avec Teilhard en extase comme Cendras le jour de Pâques
chacun sillonnant le monde
auscultant le pouls de la terre la cadence du cœur
et la mesure de l’esprit qui est d’être sans mesure
[…]
nos rêves sont tellement étroits
nos projets ont tant de complaisance pour le malheur
à peine si nous osons lever les yeux

en ce temps-là Jack

le temps des derniers mots
le sommet nu de la dernière ivresse
l’espace infini du cri de la naissance
l’univers éternel qui flotte sur la contingence

nous sommes la contingence même
avec nos attentes portées jusqu’au dernier espace
après la dernière route

nous sommes cet éclatant soleil qui inonde l’univers et pourchasse l’éternité
mais personne n’ose se l’avouer
chacun se contente de ce qu’on attend de lui
chacun rêve de Billie mais personne ne se met en route pour la rencontrer
chacun l’attend en buvant de la bière pour se donner
de l’appérit fumant de l’herbe pour chasser les soucis qui naissent
comme si nous n’étions que des cafards traînant leur ennui dans les coins sombres
et non des dieux sur qui repose le sort du monde
[…]»

Je ne vous ai donné ici qu'un bref aperçu de la lettre-poème. Pour saisir la portée, l'ampleur et la profondeur de la lettre-poème, il est impérieux de la lire au complet.

Offrez-vous ou offrez ce livre: c'est un ravissement!

Pour terminer, écoutons Jack Kerouac jazzer un extrait de On the Road.


À bientôt! Portez-vous bien!

dimanche 4 avril 2010

Les Pâques à New York - Blaise Cendras. Poésie

Faut-il être croyant pour lire, ou écouter, «La Charlotte prie Notre-Dame»? Chaque Noël la ramène avec ses misères, partagées par bien des gens près de nous... Sa complainte adressée à la Vierge Marie incite à la compassion; elle ne gêne personne, à ce que je sache. Il en va de même pour «Les Pâques à New York» de Blaise Cendras. À mon avis, ce poème est le pendant de la Charlotte. Je vous invite à le lire avec les yeux du cœur... C'est un poème plein d'humanité, de compassion, et de vérité...

Tous ne sont pas heureux à Pâques. Il n'y a pas de trêve pour la misère humaine.


Les Pâques à New York

Seigneur, c'est aujourd'hui le jour de votre Nom,
J'ai lu dans un vieux livre la geste de votre Passion

Et votre angoisse et vos efforts et vos bonnes paroles
Qui pleurent dans un livre, doucement monotones.

Un moine d'un vieux temps me parle de votre mort.
Il traçait votre histoire avec des lettres d'or

Dans un missel, posé sur ses genoux,
Il travaillait pieusement en s'inspirant de Vous.

À l'abri de l'autel, assis dans sa robe blanche,
Il travaillait lentement du lundi au dimanche.

Les heures s'arrêtaient au seuil de son retrait.
Lui, s'oubliait, penché sur votre portrait.

À vêpres, quand les cloches psalmodiaient dans la tour,
Le bon frère ne savait si c'était son amour

Ou si c'était le Vôtre, Seigneur, ou votre Père
Qui battait à grands coups les portes du monastère.


Je suis comme ce bon moine, ce soir, je suis inquiet.
Dans la chambre à côté, un être triste et muet

Attend derrière la porte, attend que je l'appelle !
C'est Vous, c'est Dieu, c'est moi, - c'est l'Éternel.


Je ne Vous ai pas connu alors, - ni maintenant.
Je n'ai jamais prié quand j'étais un petit enfant.

Ce soir pourtant je pense à Vous avec effroi.
Mon âme est une veuve en deuil au pied de votre Croix ;

Mon âme est une veuve en noir, - c'est votre Mère
Sans larme et sans espoir, comme l'a peinte Carrière.

Je connais tous les Christs qui pensent dans les musées ;
Mais Vous marchez, Seigneur, ce soir à mes côtés.


Je descends à grands pas vers le bas de la ville,
Le dos voûté, le cœur ridé, l'esprit fébrile.

Votre flanc grand-ouvert est comme un grand soleil
Et vos mains tout autour palpitent d'étincelles.

Les vitres des maisons sont toutes pleines de sang
Et les femmes, derrière, sont comme des fleurs de sang,

D'étranges mauvaises fleurs flétries, des orchidées,
Calices renversés ouverts sous vos trois plaies.

Votre sang recueilli, elles ne l'ont jamais bu.
Elles ont du rouge aux lèvres et des dentelles au cul.

Les fleurs de la Passion sont blanches comme des cierges,
Ce sont les plus douces fleurs au Jardin de la Bonne Vierge.

C'est à cette heure-ci, c'est vers la neuvième heure,
Que votre tête, Seigneur, tomba sur votre Cœur.

Je suis assis au bord de l'océan
Et je me remémore un cantique allemand,

Où il est dit, avec des mots très doux, très simples, très purs,
La beauté de votre Face dans la torture.

Dans une église, à Sienne, dans un caveau,
J'ai vu la même Face, au mur, sous un rideau.

Et dans un ermitage, à Bourrié-Wladislasz,
Elle est bossuée d'or dans une châsse.

De troubles cabochons sont à la place des yeux
Et des paysans baisent à genoux Vos yeux.

Sur le mouchoir de Véronique Elle est empreinte
Et c'est pourquoi Sainte Véronique est votre sainte.

C'est la meilleure relique promenée par les champs,
Elle guérit tous les malades, tous les méchants.

Elle fait encore mille et mille autres miracles,
Mais je n'ai jamais assisté à ce spectacle.

Peut-être que la foi me manque, Seigneur, et la bonté
Pour voir ce rayonnement de votre Beauté.

Pourtant, Seigneur, j'ai fait un périlleux voyage
Pour contempler dans un béryl l'intaille de votre image.

Faites, Seigneur, que mon visage appuyé dans les mains
Y laisse tomber le masque d'angoisse qui m'étreint.

Faites, Seigneur, que mes deux mains appuyées sur ma bouche
N'y lèchent pas l'écume d'un désespoir farouche.

Je suis triste et malade. Peut-être à cause de Vous,
Peut-être à cause d'un autre. Peut-être à cause de Vous.


Seigneur, la foule des pauvres pour qui vous fîtes le Sacrifice
Est ici, parquée tassée, comme du bétail, dans les hospices.

D'immenses bateaux noirs viennent des horizons
Et les débarquent, pêle-mêle, sur les pontons.

Il y a des Italiens, des Grecs, des Espagnols,
Des Russes, des Bulgares, des Persans, des Mongols.

Ce sont des bêtes de cirque qui sautent les méridiens.
On leur jette un morceau de viande noire, comme à des chiens.

C'est leur bonheur à eux que cette sale pitance.
Seigneur, ayez pitié des peuples en souffrance.


Seigneur dans les ghettos grouille la tourbe des Juifs
Ils viennent de Pologne et sont tous fugitifs.

Je le sais bien, ils ont fait ton Procès ;
Mais je t'assure, ils ne sont pas tout à fait mauvais.

Ils sont dans des boutiques sous des lampes de cuivre,
Vendent des vieux habits, des armes et des livres.

Rembrandt aimait beaucoup les peindre dans leurs défroques.
Moi, j'ai, ce soir, marchandé un microscope.

Hélas! Seigneur, Vous ne serez plus là, après Pâques !
Seigneur, ayez pitié des Juifs dans les baraques.


Seigneur, les humbles femmes qui vous accompagnèrent à Golgotha
Se cachent. Au fond des bouges, sur d'immondes sofas,

Elles sont polluées de la misère des hommes.
Des chiens leur ont rongé les os, et dans le rhum

Elles cachent leur vice endurci qui s'écaille.
Seigneur, quand une de ces femmes me parle, je défaille.

Je voudrais être Vous pour aimer les prostituées.
Seigneur, ayez pitié des prostituées.


Seigneur, je suis dans le quartier des bons voleurs,
Des vagabonds, des va-nu-pieds, des recéleurs.

Je pense aux deux larrons qui étaient avec vous à la Potence,
Je sais que vous daignez sourire à leur malchance.

Seigneur, l'un voudrait une corde avec un nœud au bout,
Mais ça n'est pas gratis, la corde, ça coûte vingt sous.

Il raisonnait comme un philosophe, ce vieux bandit.
Je lui ai donné de l'opium pour qu'il aille plus vite en paradis.

Je pense aussi aux musiciens des rues,
Au violoniste aveugle, au manchot qui tourne l'orgue de Barbarie,

A la chanteuse au chapeau de paille avec des roses de papier;
Je sais que ce sont eux qui chantent durant l'éternité.

Seigneur, faites-leur l'aumône, autre que de la lueur des becs de gaz,
Seigneur, faites-leur l'aumône de gros sous ici-bas.


Seigneur, quand vous mourûtes, le rideau se fendit,
Ce qu'on vit derrière, personne ne l'a dit.

La rue est dans la nuit comme une déchirure
Pleine d'or et de sang, de feu et d'épluchures.

Ceux que vous avez chassés du temple avec votre fouet,
Flagellent les passants d'une poignée de méfaits.

L'Étoile qui disparut alors du tabernacle,
Brûle sur les murs dans la lumière crue des spectacles.

Seigneur, la Banque illuminée est comme un coffre-fort,
Où s'est coagulé le Sang de votre mort.


Les rues se font désertes et deviennent plus noires.
Je chancelle comme un homme ivre sur les trottoirs.

J'ai peur des grands pans d'ombre que les maisons projettent.
J'ai peur. Quelqu'un me suit. Je n'ose tourner la tête.

Un pas clopin-clopant saute de plus en plus près.
J'ai peur. J'ai le vertige. Et je m'arrête exprès.

Un effroyable drôle m'a jeté un regard
Aigu, puis a passé, mauvais, comme un poignard.

Seigneur, rien n'a changé depuis que vous n'êtes plus Roi.
Le Mal s'est fait une béquille de votre Croix.


Je descends les mauvaises marches d'un café
Et me voici, assis, devant un verre de thé.

Je suis chez des Chinois, qui comme avec le dos
Sourient, se penchent et sont polis comme des magots.

La boutique est petite, badigeonnée de rouge
Et de curieux chromos sont encadrés dans du bambou.

Hokusai a peint les cent aspects d'une montagne.
Que serait votre Face peinte par un Chinois ?...


Cette dernière idée, Seigneur, m'a d'abord fait sourire.
Je vous voyais en raccourci dans votre martyre.

Mais le peintre, pourtant, aurait peint votre tourment
Avec plus de cruauté que nos peintres d'Occident.

Des lames contournées auraient scié vos chairs,
Des pinces et des peignes auraient strié vos nerfs,

On vous aurait passé le col dans un carcan,
On vous aurait arraché les ongles et les dents,

D'immenses dragons noirs se seraient jetés sur Vous,
Et vous auraient soufflé des flammes dans le cou,

On vous aurait arraché la langue et les yeux,
On vous aurait empalé sur un pieu.

Ainsi, Seigneur, vous auriez souffert toute l'infamie,
Car il n'y a pas plus cruelle posture.

Ensuite, on vous aurait forjeté aux pourceaux
Qui vous auraient rongé le ventre et les boyaux.


Je suis seul à présent, les autres sont sortis,
Je suis étendu sur un banc contre le mur.

J'aurais voulu entrer, Seigneur, dans une église;
Mais il n'y a pas de cloches, Seigneur, dans cette ville.

Je pense aux cloches tues: - où sont les cloches anciennes?
Où sont les litanies et les douces antiennes?

Où sont les longs offices et où les beaux cantiques?
Où sont les liturgies et les musiques?

Où sont les fiers prélats, Seigneur, où tes nonnains?
Où l'aube blanche, l'amict des Saintes et des Saints?

La joie du Paradis se noie dans la poussière,
Les feux mystiques ne rutilent plus dans les verrières.


L'aube tarde à venir, et dans le bouge étroit
Des ombres crucifiées agonisent aux parois.

C'est comme un Golgotha de nuit dans un miroir
Que l'on voit trembloter en rouge sur du noir.

La fumée, sous la lampe, est comme un linge déteint
Qui tourne, entortillé, tout autour de vos reins.

Par au-dessus, la lampe pâle est suspendue,
Comme votre Tête, triste et morte et exsangue.

Des reflets insolites palpitent sur les vitres ...
J'ai peur, - et je suis triste, Seigneur, d'être si triste.

"Dic nobis, Maria, quid vidisti in via?"
- La lumière frissonne, humble dans le matin.
"Dic nobis, Maria, quid vidisti in via?"
- Des blancheurs éperdues palpitent comme des mains.

"Dic nobis, Maria, quid vidisti in via?"
- L'augure du printemps tressaillir dans mon sein.


Seigneur, l'aube a glissé froide comme un suaire
Et a mis tout à nu les gratte-ciel dans les airs.

Déjà un bruit immense retenti sur la ville.
Déjà les trains bondissent, grondent et défilent.

Les métropolitains roulent et tonnent sous terre.
Les ponts sont secoués par les chemins de fer.

La cité tremble. Des cris, du feu et des fumées,
Des sirènes à vapeur rauquent comme des huées.

Une foule enfiévrée par les sueurs de l'or
Se bouscule et s'engouffre dans de longs corridors.

Trouble, dans le fouillis empanaché de toits,
Le soleil, c'est votre Face souillée par les crachats.


Seigneur, je rentre fatigué, seul et très morne ...
Ma chambre est nue comme un tombeau ...

Seigneur, je suis tout seul et j'ai la fièvre ...
Mon lit est froid comme un cercueil ...

Seigneur, je ferme les yeux et je claque des dents ...
Je suis trop seul. J'ai froid. Je vous appelle ...

Cent mille toupies tournoient devant mes yeux ...
Non, cent mille femmes ... Non, cent mille violoncelles ...

Je pense, Seigneur, à mes heures malheureuses ...
Je pense, Seigneur, à mes heures en allées ...

Je ne pense plus à Vous. Je ne pense plus à Vous.

Blaise Cendras (1887-1961).
[Son vrai nom est Frédéric-Louis Sauser]

Note.
Publié en 1912 sous le titre de «Les Pâques aux Hommes nouveaux», le poème aura pour titre définitif «Les Pâques à New York» en 1919.

jeudi 21 janvier 2010

Critique - Résumé - Table des matières - Mon témoignage de Jan Karski - 2004

Comme convenu, en complément à mon billet paru sur Littéranaute «Mémoires de Jan Karski Vs Jan Karski de Yannick Haenel. Une polémique en vue», je vous donne à lire, en premier lieu, une critique éclairée de Stéphane Courtois, publiée en 2o05 sur arkheia-revue.org, portant sur le livre de Jan Karki «Mon témoignage devant le monde. Histoire d'un État secret», la réédition de 2004. Suivront la présentation du livre par les Éditions du Point de Mire, et la table des matières de cette même réédition. De quoi se faire une idée en attendant... Nous reviendrons sur ce matériau au moment de la parution du livre, en édition 2010.

D'ici là gardons à l'esprit ce vers de Paul Celan: «Nul ne témoigne pour le témoin»

Stéphane Courtois écrit:
«Le mois de janvier 2005 a été consacré, en France et dans le monde, à la commémoration du soixantième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz. Radio, télévisions, journaux y ont consacré une place importante, et pourtant pratiquement pas un n’a évoqué le souvenir d’un homme qui fut le premier à porter témoignage, Jan Karski. Les éditions Point de mire ont eu l’excellente idée de republier ce livre, édité en 1948 en France et devenu introuvable, précédé d’une utile présentation et suivi de notes copieuses, préparées par Céline Gervais et Jean-Louis Panné.
Le témoignage de Jan Karski – de son vrai nom Jan Kozielewski – est celui d’un jeune lieutenant polonais happé par la Deuxième Guerre mondiale. Entraîné vers l’est par la débâcle polonaise de septembre 1939, Karski est d’abord fait prisonnier par l’Armée rouge qui, à la suite du pacte du 23 août 1939 entre Hitler et Staline – qualifié par antiphrase de «pacte de non agression» – a envahi la Pologne le 1er septembre 1939.

A peine évadé, il rejoint Varsovie et entre dans la résistance qui est déjà en train de créer un véritable «Etat secret«. En toute clandestinité, celui-ci va fonctionner comme un Etat, avec son gouvernement – ses ministères –, son armée, ses partis politiques qui organisent clandestinement la vie de toute la société et interdisent, dans la mesure du possible, toute collusion avec l’occupant nazi.
Dès la fin janvier 1940, Karski est envoyé en mission clandestine en France où réside le gouvernement polonais en exil et ou se reconstitue une armée polonaise. Rentré en Pologne en avril 1940, porteur d’instructions capitales, il est chargé d’une nouvelle mission en France fin mai. Moins chanceux cette fois-ci, Karski est arrêté par la Gestapo, mais parvient à détruire en partie les microfilms qu’il portait sur lui. Sauvagement torturé, il tente de se suicider et se retrouve sous bonne garde dans un hôpital d’où la Résistance le fait évader. Après un temps de convalescence, il reprend le combat au poste de responsable de la presse clandestine.

A l’automne 1942, la direction de la Résistance polonaise décide de l’envoyer à nouveau en mission clandestine à l’ouest, cette fois-ci en Angleterre. Mais, avant son départ, il est chargé de rencontrer deux des principaux responsables de la communauté juive, un sioniste et un dirigeant du Bund, le parti socialiste juif. Ceux-ci, lors d’une terrible séance, lui révèlent le sort qui est réservé en secret depuis des semaines aux Juifs transférés dans les premiers camps d’extermination, dont près de 300 000 Juifs du ghetto de Varsovie.
Deux jours plus tard, guidé par le leader du Bund, Karski pénètre clandestinement dans le ghetto, ce qui était formellement interdit et passible de la peine de mort. Violemment secoué par ce qu’il a vu pendant des heures, il décide néanmoins de retourner dans le ghetto, quelques jours plus tard, afin de mieux s’imprégner de la terrible tragédie qui s’y déroule quotidiennement.

De plus en plus sensibilisé, Karski accepte, la semaine suivante, de pénétrer dans un camp appartenant au processus d’extermination, le camp d’Izbica Lubelska, où les Juifs sont regroupés en provenance de différents ghettos et dépouillés de leurs maigres biens. Une minorité d’entre eux sont assassinés sur place tandis que la majorité est réexpédiée en train au camp de Belzec, l’un des cinq camps d’extermination majeurs – avec Chelmno, Sobibor, Treblinka et Auschwitz-Birkenau. Revêtu de l’uniforme d’un garde ukrainien qui a été soudoyé, Jan Karski passe une journée entière dans le camp et assiste au «chargement» des Juifs dans un train de 46 wagons. Il restera terriblement choqué par la vision dantesque de cette journée.

Ayant réussi – via Berlin, Bruxelles, Paris et Barcelone – à rejoindre Londres, il fait son rapport au premier ministre du gouvernement en exil, le général Sikorski, au président de la république, Wladislaw Raczkiewicz, et au ministre britannique des Affaires étrangères, Antony Eden. Il rencontre une foule de responsables politiques. Le 2 décembre 1942, il reçoit Szmuel Zygielbojm, le leader du Bund réfugié à Londres et membre du Conseil national polonais, à qui il rend exactement compte du sort réservé aux Juifs par les nazis en Pologne. Le 12 mai 1943, alors que l’insurrection du ghetto de Varsovie sera en voie de succomber à la terreur nazie, Zygielbojm se suicidera, laissant un message où il reproche aux gouvernements alliés de ne rien avoir entrepris de concret pour sauver les Juifs.

Enfin, en juillet 1943, Karski est envoyé aux Etats-Unis par le gouvernement polonais de Londres et a le privilège, le 28 juillet, d’être reçu pendant une heure un quart par le président Franklin Roosevelt à qui il livre un rapport sur la résistance polonaise en général et à qui il détaille, en tant que témoin oculaire, le sort des Juifs. On l’aura compris à ce rapide aperçu sur un livre d’une grande richesse, le témoignage de Jan Karski, soixante ans après, demeure une référence fondamentale pour quiconque s’interroge sur la puissance du Mal dans l’Histoire et sur courage que certains hommes ont déployé pour le combattre.» [C'est moi qui souligne le passage].

On ne saurait mieux dire, je schématise:
La puissance du Mal dans l’Histoire. Le courage des hommes pour le combattre.

Source de l'article: http://www.arkheia-revue.org/Mon-temoignage-devant-le-monde-de.html?artsuite=0#gros_titre
Le livre: «Mon témoignage devant le monde de Jan Karski, Histoire d’un Etat secret», Editions du Point de Mire, 2004, 640 p.

Il est à noter que le livre contient une présentation et des notes de Céline Gervais et Jean-Louis Panné, indispensables à la compréhension du texte.

(( ))

Voici, maintenant, les textes puisés chez les Éditions Point de Mire, 2004.

La quatrième de couverture
«Courrier de l'Armia Krajowa (L'Armée de l'Intérieur) de la résistance polonaise, Jan Karski (1914-2000) risque sa vie pour transmettre en novembre 1942 au gouvernement polonais en exil à Londres dirigé par le général Sikorski et aux organisations juives les informations les plus fiables sur l'extermination des Juifs sur le territoire de la Pologne occupée par les nazis. Ce Juste parmi les Nations plaide auprès des plus hautes autorités britanniques et américaines - il rencontre Franklin D. Roosevelt - en faveur d'une action destinée à arrêter la Shoah. En vain. Son "Témoignage devant le monde ", publié aux États-Unis à l'automne 1944, constitue également un passionnant récit de la vie des clandestins de la résistance nationale polonaise. Jan Karski décrit les caractères originaux de cette résistance tant civile que militaire, structurée en un véritable " État clandestin "avec son Parlement qui élabora un programme démocratique pour une Pologne indépendante. Cette nouvelle édition révisée du livre de Jan Karski rend hommage à cet "homme qui tenta d'arrêter l'Holocauste".»


Table des matières -qui donne une bonne idée du contenu du livre
* Tombeau pour Jan Karski
* Avertissement
* La défaite
* Prisonnier en Russie
* Echange et évasion
* La Pologne dévastée
* Le commencement
* Transformation
* Initiation
* Borzecki
* Lwów
* Mission en France
* L'Etat clandestin
* La chute
* Torturé par la Gestapo
* A l'hôpital
* Mon sauvetage
* "L'agronome"
* Dwór, convalescence et propagande
* Sentence et exécution
* L'État secret (II) – structures
* Cracovie - l'appartement de Madame L
* Une mission à Lublin
* La guerre de l'ombre
* La presse clandestine
* L'"appareil" du conspirateur
* Femmes agents de liaison
* Un mariage par procuration
* L'école clandestine
* Une séance du parlement clandestin
* Le ghetto
* Dernière étape
* Retour " Unter den Linden "
* Vers Londres
* Mon témoignage devant le monde

À méditer
La puissance du Mal dans l’Histoire. Le courage des hommes pour le combattre.

[Stéphane Courtois]
Bonne lecture!