}
Affichage des articles dont le libellé est Germaine Guèvremont. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Germaine Guèvremont. Afficher tous les articles

mardi 6 octobre 2009

Qui êtes-vous... Survenant? (3)

Qui êtes-vous... Survenant? (3). Descendant du Français Beauchemin dit Petit, bourlingueur, homme de chantier, coureur des bois, aux allures d'Indien, «Survenant» s'inscrit dans la filière américaine, à la suite de Jack London, «The Road», à titre de précurseur de Jack Kerouac, «On the Road». Cette route que fermera Cormac McCarthy avec «The Road». En examinant attentivement le personnage de Germaine Guèvremont, «Le Survenant», on discerne, aisément, son originalité et sa modernité. Mais qu'en est-il, vraiment, de sa part d'américanité?

Survenant: un beatnick

Laissons la parole à Germaine Guèvremont «Mon Survenant aurait pu être beatnick, lui aussi»*, dit-elle lors d'une entrevue au Petit Journal (1959). À la lumière du roman et des écrits consultés, on sait que cette affirmation n'est pas superficielle.

Hélène Destrempes et Jean Morency écrivent: « Reconnaissant ainsi le lien direct entre son personnage fétiche et la mouvance beat, elle ne manque pas d'inscrire la figure du Survenant dans un courant nord-américain dont il est en quelque sorte un précurseur ou du moins représentant. Son grand-dieu-des-routes, habité par la fièvre des départs et porté sur la dive bouteille, serait ainsi un proche parent, voire un précurseur de Jack Kerouac, dont le fameux roman On the Road date de 1957. Cette revendication de la modernité de la figure du Survenant comme du roman lui-même n'a rien de gratuit, du moment que l'on considère l'étendue de la culture livresque de Germaine Guèvremont, qui connaissait la lignée des auteurs dont l'œuvre de Jack kerouac était elle-même issue, à commencer par Jack London, John Steinbeck, Thomas Wolfe (...)».*

Les auteurs soulignent que Alfred Desrochers, dans les années '40, se «tourne vers la poésie américaine, qu'il a découverte avec ravissement dans des revues spécialisées venues des États-Unis.» Ils mentionnent que l'écriture de Germaine Guèvremont a été influencée par ses lectures de revues et d'auteurs américains, à l'appui de sa correspondance avec Alfred Desrochers. Ils mentionnent aussi «les échanges de plus en plus nombreux entre les citoyens de la belle province (le Québec) et leurs compatriotes exilés du «Québec d'en bas.» Notons que Pierre Anctil est l'auteur du texte «La Franco-Américanie ou le Québec d'en bas» (2007)

Je rappelle ici que Victor-Lévy Beaulieu (VLB), qui a guidé notre lecture de Jack Kerouc, traite abondamment du Québec d'en bas. [Son essai, intitulé «Jack Kérouac», a été publié aux Éditions Trois-Pistoles, en 2005]

Dans son roman. Germaine Guèvremont parle de l'Acayenne et du Québec d'en bas. Ces passages ont une résonance, car on sait que Jack Kerouac est un Franco-américain (un Canuk) dont les parents canadiens-français (aujourd'hui, on dirait québécois) catholiques ont émigré à Lowell, Massachussets, c'était...le Québec d'en bas.

__On te demande (Survenant) si t'as eu vent à Sorel du gros accident?
__ Quel accident?
__ Apparence que trente-quelques personnes ont péri dans une exposion (explosion) à la station des chars (trains) du Pacifique, à Montréal.
__ Ah oui! L'Acayenne m'en a soufflé mot (...)
(...)
__ Une personne de ma connaissance. [p.103].

Survenant: «L'Acayenne, de son vrai nom Blanche Varieur»
__«Mais d'où qu'elle sort pour qu'on l'appelle l'Acayenne?
Survenant: «Ah! elle vient de par en bas du Québec, de quelque part dans le golfe.» [p. 188].

Fin du voyage
À la lumière de ce qui a été dit, je n'hésite pas à inscrire Survenant dans la filière américaine, précurseur de Jack Kerouac. À la différence de celui-ci, il est un personnage, et non pas une personne. Mais sa nature complexe, et unique, lui donne un caractère humain indéniable. Il n'est pas étonnant que Survenant ait atteint le statut de mythe.

Je vous quitte sur ces deux belles déclarations d'amour. Celle de Survenant à Angélina, dans une scène d'adieu déchirante; et, celle de Germaine Guèvremont à «son» Survenant, magnifique!

«Si tu voulais, Survenant... Tendrement il emprisonna un moment dans les siennes les mains qui s'accrochaient à lui et y enfouit son visage.
D'une geste brusque, il se dégagea et, la voix enrouée, il dit: Tente-moi pas, Angélina. C'est mieux.» À grandes foulées, il se perdit dans la nuit noire.» [p. 196].


Plus qu'un homme, le Survenant est l'île de nostalgie, de déraison, d'inaccessible, d'inavouable
---et pourtant d'humain--- que chacun porte en soi.
L'ïle perdue.

Germaine Guèvremont

__
* Hélène Destrempes et Jean Morency, «Américanité et modernité dans le cycle du Survenant», à l'adresse...
Principales sources: «Le Survenant», Germaine Guèvremont, Bibliothèque québécoise, 1990, 219 pages, ainsi que la présentation du roman par Yvan G. Lepage, intitulée «Genèse d'un mythe», p.7-p.17.
Autres sources:
__ Pierre Anctil, «La Franco-Américanie ou le Québec d'en bas», erudit.org
__ L'article de Thomas Flamarion, «Cent ans sous les semelles: Trilogie de l'asphalte: London, Kerouac, Mc Carthy», qui a inspiré ma démarche.
__ Victor-Lévy Beaulieu (VLB), «Jack Kérouac», Éditions Trois-Pistoles, en 2005.
Rappel: La traduction anglaise qui aura pour titre: «Monk's Reach» (1950). En américain, le titre sera «The Outlander» (1950). En France, «Le Survenant» sera publié chez Plon, coll. «L'Épi», dirigée par le philosophe et écrivain Gabriel Marcel (1946)

samedi 3 octobre 2009

Qui êtes-vous... Survenant? (2)

Qui êtes-vous... Survenant? (2) «Survenant», personnage du roman «Le Survenant» de Germaine Guèvremont, est un précurseur de Jack Kerouac. Ce n'est pas rien! C'est un homme moderne qui s'inscrit dans la filière américaine formée, dorénavant, de Jack London, «The Road»; de Germaine Guèvremont, «Survenant» ; de Jack Kerouac, «On the Road»; de Cormac McCarthy, «The Road».

Lisons, liserons! Lisons ce roman, un classique de la littérature québécoise, d'un œil nouveau. «Tout le monde en parle», mais qui a lu «Le Survenant», d'une couverture à l'autre. Pour penser, dire, répéter, à tout vent et à tout venant, «c'est un roman du terroir»... c'est le réduire à sa portion congrue (L'avez-vous lu? Avez-vous sauté des pages? Ah! Ah! vous n'avez pas lu mon blogue...). Oui, il y a de «ça»... mais pas seulement «ça» (et le «ça» n'est pas le béret de Roland Barthes). «Survenant»: c'est lui qui est le pivot du roman, c'est sur lui que repose le roman; sans lui, le roman tombe à plat. Nevermind! dirait Survenant, je m'en vas ailleurs... « (...) pas même le temps de changer de hardes et je pars.» Survenant, un homme libre...

Qui êtes-vous... Survenant?
Survenant est un personnage à facettes: bourlingueur, homme de chantier et coureur des bois, aux allures d'Indien. Je poursuivrai, et terminerai en beauté, son portrait. En commençant, comme il se doit, par vous exposer «ma petite idée»...

Descendant du Français Beauchemin dit Petit
Dans les écrits. J'ai cherché, mais je n'ai pas trouvé d'écrits appuyant cette filiation du Survenant. Filiation tout à fait plausible que j'ai déduite du roman lui-même. Laissons donc «parler» le roman. [p.155 à p.158]

Dans le roman: Survenant s'adresse au père Didace: «Beauchemin... c'est comme rien, le premier du nom devait aimer les routes?»
Didace lui répond: «T'as raison, Survenant. Les premiers Beauchemin de notre branche tenaient pas en place. Ils étaient deux frères, un grand, un petit: mieux que deux frères, des vrais amis de cœur. Le grand s'appelait Didace. Le petit j'ai jamais réussi à savoir son petit nom. (...) Ils venaient des vieux pays. L'un et l'autre avaient quitté père, mère et patrie, pour devenir son maître et refaire sa vie. Ah! quand il s'agissait de barauder de bord en bord d'un pays, ils avaient pas leur pareil à des lieues à la ronde. (...) Ils sont arrivés au chenal, tard, en automne, avec, pour tout avoir, leur hache, et leur paqueton sur le dos. Et dans l'idée de repartir au printemps. Seulement pendant l'hiver, le grand s'est épris si fort d'amitié pour une créature qu'il a jamais voulu s'en retourner. (...) Il s'est donc marié, et c'est de même qu'on s'est enraciné au Chenal du Moine».

Alors, Survenant se mit à chantonner une vieille complainte, que Didace entonna à son tour. «Puis il (Didace) continua à raconter:
__ Tout ce qu'on a su de lui, c'est que, par vengeance, il a jamais voulu porter le nom de Beauchemin: Il s'est appelé Petit.
__ Petit! s'exclama le Survenant. Pas Beauchemin dit Petit.
__ Sûrement. Quoi c'est qu'il y a d'étrange là-dedans?
__ Ça me surprend parce qu'il y a eu des Petit dans notre famille.»

«Sa grand-mère était une Petit. Serait-il du même sang que les Beauchemin? À cela rien d'impossible. (...). Il (Survenant) se perdit en réflexions: "Pour refaire sa vie et devenir son maître": c'est ainsi que si peu de Français, par nature casaniers, sont venus s'établir au Canada, au début de la colonie, et que le métayage est impossible au pays. Celui qui décide de sortir complètement du milieu qui l'étouffe est toujours un aventurier. Il ne consentira pas à reprendre ailleurs le joug qu'il a secoué d'un coup sec. Le Français, une fois Canadien, préférerait exploiter un lot de la grandeur de la main qu'un domaine seigneurial dont il ne serait encore que le vassal et que de toujours devoir à quelqu'un foi, hommage et servitude. À son insu, il venait de penser tout haut. Didace n'en fit rien voir. Rempli d'admiration et de respect pour une si savante façon de parler, il écouta afin d'en entendre davantage, mais le Survenant se tut.»

En somme, ce passage est si éloquent qu'il se passe de commentaires. Cependant, il pourrait éclairer la réponse sibylline de Survenant à Amable au sujet de son habilité à réparer des raquettes -moyen de déplacement des Indiens pour marcher dans la neige épaisse.
__ De qui c'est que t'as appris ça, Survenant? lui demanda Amable.
__ De personne. Mon père, mon grand-père, mon arrière-grand-père l'ont appris pour moi. [p.119]

Ce passage pourrait répondre à cette question, toute simple: «De qui peut-il bien retenir (avoir des traits de ressemblance) pour avoir la bougeotte comme ça. Il ne tient pas en place!» Il... Survenant pourrait bien retenir de son ancêtre, Beauchemin dit Petit, venu de France....
Son arrière-grand-père a, probablement, côtoyé des Indiens -des Hurons, des Montagnais- de qui il aura appris beaucoup de choses... confectionner et réparer des raquettes, courir les bois, vivre en accord avec la nature, respirer un air de liberté... Il me semble que «ma petite idée» tient debout... sans avoir à s'appuyer sur un arbre...

Survenant est un personnage complexe et dense, tiraillé par des tensions intérieures.
Yvan G. Lepage écrit: « Le Survenant est un personnage infiniment complexe. Il a beau porter un mackinaw, avoir connu les chantiers et passer pour un «sauvage», il n'en demeure pas moins un homme éminemment moderne. Certes, il ne dédaigne pas la nature, mais c'est la ville qui l'attire, avec ses hôtels et ses plaisirs». [p.13]

Dans mon billet précédent, j'ai établi que Survenant est un coureur des routes, tout comme Jack London «The Road» et Jack Kerouac «On the Road». En cernant de plus près la «personnalité» de Survenant, nous arrivons à saisir pleinement son originalité et sa modernité. On sait que Jack Kerouac est un Canuck qui s'est américanisé, dans une certaine mesure, car il est demeuré essentiellement lui-même, dans sa vie comme dans ses livres, lesquels s'interpénétraient. Survenant, lui, aurait-il une part d'américanité?

Je répondrai à cette question dans mon prochain billet, qui marquera la fin de notre voyage. C'est un rendez-vous...

À très bientôt!

__
* Présentation par Yvan G. Lepage, intitulée «Genèse d'un mythe», p.7-p.17, du roman «Le Survenant» de Germaine Guèvremont, Bibliothèque québécoise, 1990, 219 pages.
**La traduction anglaise aura pour titre: «Monk's Reach» (1950). En américain, le titre sera «The Outlander» (1950). En France, «Le Survenant» sera publié chez Plon, coll. «L'Épi», dirigée par le philosophe et écrivain Gabriel Marcel (1946)
*** Hélène Destrempes et Jean Morency, «Américanité et modernité dans le cycle du Survenant», à l'adresse...
__ Pierre Anctil, «La Franco-Américanie ou le Québec d'en bas», erudit.org
Rappel: L'article de Thomas Flamarion, «Cent ans sous les semelles: Trilogie de l'asphalte: London, Kerouac, Mc Carthy», a inspiré ma démarche.

mercredi 30 septembre 2009

Qui êtes-vous... Survenant? (1)

Qui êtes-vous... Survenant? «Survenant», personnage du roman «Le Survenant» de Germaine Guèvremont, n'est pas un «quêteux»: on s'entend sur ce point. Je l'ai démontré dans mon précédent billet, et je suis certaine que vous en êtes convaincus. Mais «zencore» qui est-il? Nous verrons que Survenant est un homme moderne. Il est bien ce «Grand-dieu-des-routes», comme le désignent, justement, les gens de Chenal-du-Moine. Examinons donc, de plus près, ce qu'il en est.

Qui êtes-vous... Survenant?
Il n'y a pas de réponse simple ni directe à cette question. Survenant a carrément refusé de dire son nom au père Didace Beauchemin. Il a peu dévoilé de sa personne ou de sa vie. De ce fait, il demeure un être mystérieux, ce qui ajoute à son charme. Tout de même, un examen attentif du roman et d'écrits fiables permet d'établir son identité. Pour donner vie au Survenant, Germaine Guèvremont s'est inspirée de plusieurs modèles, et elle «aura longtemps tâtonné avant de créer le personnage inoubliable que nous connaissons (...)», écrit Yvan G. Lepage.*

Un bourlingueur
Dans les écrits: Dans les années 1910, Germaine Guèvremont a connu Bill Nyson: « (...) de cet ardent et aventureux Norvégien émanait une étrange séduction. Germaine avait vingt ans. Comme la Belle au bois dormant, elle attendait impatiemment le Prince charmant. Voilà qu'il faisait son apparition, paré du prestige du bel étranger, riche déjà des expériences que l'on acquiert en voyageant de par le monde.»*
Imaginez une jeune fille dans les années 1910 qui rencontrent un tel homme... il y a de quoi le garder dans son cœur toute sa vie, ce qu'elle fera... en silence. Car, le bel étranger épousera sa sœur aînée, s'enrôlera et retournera en Europe où sévit la Grande Guerre. La terrible Guerre de 1914-1918! Germaine Guèvremont a pris du temps à assumer cet amour secret: Bill Nyson compte pour une bonne part, dans la création de Survenant.*
La romancière a, d'ailleurs, doté Survenant d'une chevelure d'un roux flamboyant, d'une chevelure cuivrée.

Dans le roman: «Il cherchait encore [où il avait mangé du si bon bouilli], dans le vaste monde, nommant aux Beauchemin des villes, des pays aux noms étrangers qui leur étaient entièrement indifférents: le Chenal du Moine leur suffisait.» [p.45].

«Je pense que nulle part, j'ai resté aussi longtemps que par ici. Avant, quand j'avais demeuré un mois à un endroit, c'était en masse. Mais, au Chenal, je sais pas pourquoi.. Peut-être parce qu'il y a de l'eau que j'aime à regarder passer de l'eau qui vient de pays que j'ai déjà vus... de l'eau qui s'en va vers des pays que je verrai, un jour... je sais pas trop...» [p.168]

À propos du cirque venu à Sorel: « (...) Toute la jungle. Et le Far West. L'Asie. L'Afrique. Le monde. Le vaste monde. Et puis la route...» [p.172].

«Un soir, Didace, pour tirer du silence le Survenant évoqua l'épouvantable débâcle du mercredi saint de 1865. Dans le texte, on mentionne 4 fois que Survenant ne bronche pas. «Mais, sans même lever la vue, il se mit à parler à voix basse, comme pour lui-même, de l'animation des grands ports, quand ils s'éveillent à la vie du printemps, et surtout du débardage, un métier facile, d'un bon rapport, sans demander d'apprentissage. Il ne dit pas un mot du danger de l'homme de quai. (...) Il parla du débardage comme d'une personne aimée en qui on ne veut pas voir de défaut.» [p. 122]

Le père Didace demande à Survenant: «Survenant, dis-moi comment c'est que t'es venu à t'arrêter au Chenal?» Il répond: Ben... je finissais de naviguer... J'avais bu mon été... puis l'hiver serait longue...» [p. 159].

En somme, on voit bien que Survenant correspond au portrait du bourlingeur, tels Jack London et Jack Kerouac. Tout comme eux, il use ses semelles à parcourir les routes, chemins de terre, chemins d'asphalte, chemins d'eau... Ces trois bourlingueurs vont à la découverte de pays, de villes et de villages; ils vont à la rencontre des gens. Ils sont ici et là, partout et nulle part: ils sont ailleurs. Ils ont la bougeotte...

Un homme de chantier, un coureur des bois
Dans les écrits. Vers les années 1940, Germaine Guèvremont rencontre Alfred Desrochers. « (...) ce poète et critique littéraire, doublé d'un homme de chantier et d'un coureur des bois peut à bon droit être considéré, de l'aveu même de Germaine Guèvremont, comme le modèle le plus immédiat et le plus accompli du Survenant. (...). Bill Nyson avait envoûté la jeunesse de Germaine Guèvremont; Alfred Desrochers fut l'ami, l'inspirateur et le confident de sa maturité. Le Survenant est issu de la conjonction de ces hommes.» Le roman a été rédigé dans les années 1940, mais l'action se situe dans les années 1909-1910.* **

Dans le roman: «Je vous ai-ti parlé d'un couque dans un chantier du Maine? (...).» [p. 45]

«De la soupe à la perdrix! (...), mais jamais en soupe. Ou encore, comme je l'ai mangée en Abitibi. Le couque (...).» [p.46]

Survenant s'adresse à Amable: «Le bien paternel aura aidé à te pourrir. Avant toi, pour réchapper leur vie, les Beauchemin devaient courir les bois, ou ben ils naviguaient au loin, ou encore ils commerçaient le poisson.» [p.137]

Dès les travaux des champs terminés, Survenant ira à la chasse aux canards avec le père Didace. Au printemps, ils iront à la pêche ensemble. Survenant est tout à fait à l'aise dans ce milieu sauvage; visiblement, il s'y connaît. Il est sensible à la beauté de la nature. «Le Grand-dieu-des-routes renifla l'émotion [p.65]. De longues pages sont consacrées aux activités des deux «coureurs des bois»; à la description de la nature, sa faune, sa flore, ses odeurs, ses couleurs; à l'émotion que sa beauté suscite.
Il n'y a pas de doute, le modèle qui a inspiré, en partie, Germaine Guèvremont, c'est bien Alfred Desrochers (le père de notre Clémence).

Un homme aux allures d'«Indien»
Dans les écrits. L'Indien est un précurseur de Survenant. L'Indien Charles Jones, un personnage de Germaine Guèvremont, revient dans le conte «Un Sauvage ne rit pas», (1943) sous le nom de Johny Giasson. À ce moment-là l'auteure rédige «Le Survenant». Yvan G. Lepage écrit: «Il n'est pas douteux que Charles Jones annonce le Survenant». Germaine Guèvremont ose mettre dans la bouche de la «sage Mélusine» (sage... Ouf! l'honneur est sauf!) «J'aimais tout de lui: j'aimais son langage rude de coureur des bois, j'aimais sa voix aux intonations rauques, et ses cheveux au vent et sa belle tête nerveuse, et le grand corps bronzé qui oscillait comme un arbre dans la tempête.»*

Dans le roman: on se demande si Survenant ne serait pas un «Indien»: «Un jour, il (Survenant) découvrit dans le cabanon une vieille paire de raquettes qu'il voulut remettre en bon état... Il montra, à redresser le nerf, une adresse rare, et inconnu des gens du Chenal.
__ De qui c'est que t'as appris ça, Survenant? lui demanda Amable.
__ De personne. Mon père, mon grand-père, mon arrière-grand-père l'ont appris pour moi.
Sans se lasser, Didace le regardait travailler. Une fois de plus, l'origine de l'étranger l'obséda. Serait-il descendant d'Indien? Sa complexion de highlander le niait, mais son habilité et diverses caractéristiques l'affirmaient comme tel.» [p.119]

Didace doute... et nous aussi. La réponse de Survenant est ambigüe, la réflexion de Didace embrouille les pistes. J'ai ma petite idée à ce sujet... Vous verrez...
Ne manquez pas mon billet de demain...

__
* Présentation par Yvan G. Lepage, intitulée «Genèse d'un mythe», p.7-p.17, du roman Le Survenant de Germaine Guèvremont, Bibliothèque québécoise, 1990, 219 pages.
**La traduction anglaise aura pour titre: «Monk's Reach» (1950). En américain, le titre sera «The Outlander» (1950). En France, «Le Survenant» sera publié chez Plon, coll. «L'Épi», dirigée par le philosophe et écrivain Gabriel Marcel (1946)
*** Hélène Destrempes et Jean Morency, «Américanité et modernité dans le cycle du Survenant», à l'adresse: suivante: http://id.erudit.org/iderudit/018670ar
Rappel:
L'article de Thomas Flamarion, «Cent ans sous les semelles: Trilogie de l'asphalte: London, Kerouac, Mc Carthy», a inspiré ma démarche.

mercredi 16 septembre 2009

Survenant - Un coureur des routes

Survenant - Un coureur des routes. Pour savoir si Survenant, personnage pivot du roman «Le Survenant» de Germaine Guèvremont, s'inscrit dans la filière américaine «des coureurs des routes», il faut répondre à la question préalable: Survenant est-il, tout simplement, un quêteux qui parcourt les routes de la campagne du Québec au XIXe siècle? Un phénomène tout à fait courant. Si la réponse est affirmative, l'affaire est classée. Sinon, la première question demeure entière et exige un examen.

Bref rappel
La filière américaine comprend 3 auteurs incontournables: Jack London, «The Road»; Jack Kerouac, «On the Road», et Cormac McCarthy, «The Road», qui ferme la route sans issue -Dead end- avec ses personnages sans nom, l'homme et l'enfant. À 50 ans d'intervalle, ces trois grands auteurs nous racontent la vie sur la route. Avec Survenant, nous arrivons,à présent, au terme de notre «vagabondage» dans les livres.

Survenant n'est pas un quêteux.
De toute évidence, ce personnage romanesque ne correspond pas à la description du «quêteux» de métier, comme je l'ai décrit dans mon billet du 11 août 2009 (oui, la page existe). Bien sûr, il partage avec eux le goût de la liberté, le désir de ne pas s'attacher, de parcourir les routes. Comme eux, il raconte des histoires, il chante, il joue d'un instrument (piano et harmonium, alors que le quêteux joue de l'harmonica). Comme eux, il attire les gens d'alentour qui s'empressent de venir à la veillée.

Cependant, ces points communs ne sont pas suffisants pour faire de Survenant un quêteux. J'en veux pour preuve que Jack London et Jack Kerouac partagent, chacun à sa manière et en son temps, ces mêmes points communs. Ce qui, cela va de soi, n'en fait pas, pour autant, des «quêteux». Ils sont des «coureurs des routes».

Jack London, Jack Kerouac et Survenant ne quêtent pas. Mais, ils peuvent, à l'occasion, demander à manger. par exemple:
__ «Il (Survenant) frappe à la porte des Beauchemin qui s'apprêtaient à souper (...). C'était un étranger de bonne taille, jeune d'âge, paqueton au dos, qui demandait à manger». [p. 19]. Ce sera la première et dernière fois.

__ Jack London, tenaillé par la faim, ruse afin qu'on lui donne à manger. Dans son chapitre «Confession», il s'en explique.
«There a woman in the state of Nevada [Reno] to whom I once lied continuously, consistenly, and shamelessly, for the matter of a couple of hours. I don't want to apologize to her. Far be it from. But I do want explain. Unfortunately, I do not know her name, much less her present address. If her eyes should chance upon these lines, I hope she will write to me. (...). It was the hungry hoboes that made the town a "hungry" town [Il fait référence à l'«armée» de chômeurs du «général» Kelly]. They "battered" the back doors of the homes of the citizens until the back doors became unresponsive. (...). I was hungry (...). At the first glimpse of her kindly face I took my cue. I became a sweet, innocent, unfortunate lad. [Bref, il joue la comédie à cette femme afin de l'attendrir pour qu'elle lui donne à manger; ce qu'elle fera].

__Jack kerouac, lui, lorgne le lunch d'un bon samaritain: «Le type qui me prit à bord de sa bagnole était hâve et décharné, il croyait à l'action bienfaisante sur la santé d'une inanition contrôlée. Quand je lui dis, comme nous roulions vers l'Est, que je crevais de faim, il dit: "Parfait, rien de meilleur pour vous. Moi-même je n'ai pas mangé depuis trois jours. Je suis en route pour vivre cent cinquante ans". Je dévorai [des sandwiches donnés, enfin, par le type] (...). Tout à coup, je me suis mis à rire. J'étais seul dans l'auto à l'attendre (...) et je ne pouvais m'arrêter de rire.»

Il arrive que le quêteux travaille une journée ou deux pour l'habitant en échange de sa nourriture. Mais, il dort sur ou dans le banc de quêteux -jamais dans un lit- ou dans la grange. Ce n'est pas le cas de Survenant. Il offre ses services d'homme engagé au père Didace Beauchemin: «Si vous voulez me donner à coucher et à manger [et un peu de tabac], je resterai. Je vous demande rien de plus. Par même une taule. Je vous servirai d'engagé. (...)» [p.21-p.22]. Par un geste, le père Beauchemin accepte. Survenant occupera une chambre dans la maison, boira avec le gobelet, et se lavera au lavabo.

Lorsque, un peu plus tard, le père Didace fera allusion à la rareté de l'ouvrage, Survenant lui dira promptement: «Écoutez le père Beauchemin, vous et vos semblables. Prenez moi (sic) pas pour un larron ou pour un scélérat des grands bois. (...) Partout où je passe, j'ai coutume de gagner mon sel, puis le beurre pour mettre dedans (sic). Je vous ai offert de me garder moyennant asile et nourriture. Si vous avez pas satisfaction, dites-le: la route est proche. De mon bord, si j'aime pas l'ordinaire (la nourriture), pas même le temps de changer de hardes et je pars.» (...) «Reste le temps qu'il faudra», lui répond le père Didace Beauchemin. [p.43-p.44].

Il ne viendrait pas à l'idée d'aucun habitant de traiter un quêteux comme on traitait Survenant. D'ailleurs, ni Amable (le fils) ni Alphonsine (la belle-fille), qui ne peuvent pas le blairer et se montrent mesquins, ne le traitent comme un quêteux. Ils voient en lui un homme engagé. Il en est de même pour les gens du Chenal-du-Moine y compris ceux qui le détestent.
«De jour en jour, pour chacun d'eux (les gens du Chenal), il devient le Venant à Beauchemin [sans qu'Amable proteste]. Le père Beauchemin ne jure que par lui. L'amitié bougonneuse d'Alphonsine (manifestée plus tard) ne le lâche pas. [Le chien] le suit mieux que son maître.» Pour tous, il fait partie de la maison. Il y restera une année.

En terminant...
J'espère vous avoir convaincu: Survenant n'est pas un quêteux, comme on le dit et le répète à tout vent. À défaut, probablement, d'une perspective plus large... et d'aller voir du côté des écrivains américains.

Il reste à savoir ce qu'il est... Il reste à savoir s'il s'inscrit dans la filière américaine...
Ce sera l'objet de mon prochain billet, sous peu... Il me faut accélérer la cadence, des livres attendent leur tour avec impatience.
À bientôt donc!

mardi 11 août 2009

Survenant est-il un quêteux?

Certains auteurs de textes, publiés sur Internet, affirment sans ambages que Le Survenenant est un quêteux. Pour eux, cela semble aller de soi. Précisons: Le Survenant est le titre du roman de Germaine Guèvremont, et Survenant ou le Survenant désigne le nom du personnage principal. Cette clarification n'est en rien byzantine, car elle permet d'éviter des ambiguïtés dans le discours. Cela posé, abordons de front la question: Survenant est-il un quêteux, sans rapport avec Jack London ou Jack Kerouac, s'inscrivant dans le paysage du Québec vers les années 1909-1910?

Le quêteux est un mendiant. À la belle saison, il parcourt la campagne demandant le gîte et le couvert aux «habitants». Il leur demande l'aumône «pour l'amour de Dieu». Sales et pouilleux, on les fait dormir soit dans le «banc du quêteux», soit dans la grange - et on prie le Ciel pour qu'il n'y mette pas le feu. Même les pauvres lui donnent à manger et, bien souvent, il repart avec quelques victuailles. En retour, certains aident durant un ou plusieurs jours aux travaux de la ferme. D'autres reprennent la route avec un «Dieu nous bénisse» ou un «Dieu vous le rendra».

Le quêteux est une vraie «gazette». Il colporte les nouvelles d'un village à l'autre, d'une maison à l'autre. Mariage, naissance, décès, incendie, accident... tout y passe. Au plus fiable, on confie des lettres ou des messages verbaux, à l'image d'Olivier Chouinard, dans le roman de Louis Fréchette. Un homme de confiance, simple, un illettré qui livrait les lettres ou colis qu'on lui confiait, un facteur avant la lettre... Un personnage haut en couleur ayant réellement existé, ce quêteux parcourait le territoire du Bas-du-fleuve, en toutes saisons.*

Le quêteux pouvait s'adonner au commérage, répandant des ragots... peu charitables. En verve, et peu scrupuleux, il n'hésite pas à faire bruire la maison de l'habitant «de cent médisances, ragots et calomnies». En général, toutefois, le quêteux se contente de rapporter les nouvelles d'une maison à l'autre, d'un village à l'autre. Il raconte des histoires, des contes, en y mettant son grain de sel: cent fois racontés, cent fois réinventés. Il chante ou joue de l'harmonica - de la «ruine-babines». Il désennuie la maisonnée à laquelle se joignent, parfois, des voisins qui viennent veiller comme chez les Beauchemin, dans Le Survenant.

À l'opposé, il y a le «mauvais quêteux. Effronté, grossier, vicieux même, il tente de faire la loi. La femme et les enfants seuls à la maison en ont une peur bleue, et pour cause. Celui-là est mécontent de tout ce qu'on lui offre, en exige davantage et du meilleur. Il leur lance des injures et les menace. Il va jusqu'à jeter des sorts pour effrayer les gens -souvent superstitieux- de la maison.
C'est le type du quêteux crasseux, pouilleux, hargneux, ivrogne, souvent ivre, toujours violent. Celui-là, on cherche à s'en débarrasser au plus vite, ou bien on le chasse manu militari, si cela est possible. On le redoute, car on craint une vengeance, par exemple qu'il revienne sournoisement pour mettre le feu aux bâtiments.

Parmi les quêteux, on peut distinguer deux groupes. Le «quêteux de métier» qui correspond, somme toute, au portrait que je viens d'esquisser. Pour lui, parcourir «le pays» est un mode vie. Il ressemble à Jambe-de-bois dans «Les belles histoires des Pays d'en haut» de Claude-Henri Grignon, série télévisuelle qui connaît un grand succès d'une génération à l'autre. Auparavant, l'émission radiophonique, sous le titre «Un homme (Séraphin, l'avare) et son péché», avait largement contribué à faire connaître le roman de Grignon.
Ce quêteux de métier parcourt «son territoire». L'intrus est malvenu: il tente de le dissuader de rester ou le fait chasser avec l'aide du maire, du curé et avec l'appui des gens. On veut en limiter le nombre, car la paroisse ne pourrait en supporter plusieurs. En somme, le maire pense aux taxes, le curé à la dîme et à ses bonnes œuvres, le notaire et les marchands aux impayés, et l'habitant, souvent pauvre, pense à leur famille.

L'autre groupe est formé de «quêteux occasionnels». Celui qui est frappé par le malheur: le sans-abri, chassé de chez lui à cause de l'incendie de sa maison ou d'une reprise d'hypothèque; le criblé-de-dettes, le sans-emploi. Ce quêteux se sent humilié et ne souhaite pas mieux que de cesser de «quémander», de demander la charité.
À ce groupe, j'ajoute ceux que l'état mental ou physique jette sur les routes: le simple d'esprit, le handicapé, l'accidenté. Les uns finiront par être hébergés, les autres trouveront un travail qui convient à leur état: ce sont les chanceux. Les autres, les laissés-pour-compte, sont condamnés à l'errance... ce sont de pauvres malheureux.

Survenant, lui, est-il un quêteux? Si oui, quel type de quêteux. Si non, marche-t-il sur les traces de Jack London ou de Jack Kerouac?
C'est à ces questions que je tenterai de répondre dans mon prochain billet. C'est un rendez-vous...

À bientôt donc! Et merci de me lire...
___
*Louis Fréchette, Originaux et Détraqués, récits.

vendredi 31 juillet 2009

Le Survenant - Germaine Guèvremont

Survenant, personnage central du roman, Le Survenant de Germaine Guèvremont, paru en 1945, s'inscrit-il dans la filière américaine? Est-ce qu'il y a des points communs entre Survenant, Jack London et Jack Kerouac? Survenant est-il, tout simplement, un «quêteux» qui parcourt les routes de la campagne du Québec au XIXe siècle et début XXe siècle? Un phénomène courant à cette époque.
C'est sous cet angle que j'aborderai l'analyse et la critique de ce roman, un classique de la littérature du Québec. Pour l'instant, mettons la table.

En premier lieu, reprenons la trame de cette filière américaine amorcée sur Livranaute en juin 2009, qui a fait l'objet de plusieurs billets. Trois auteurs, trois livres incontournables.

(1)__ The Road de Jack London, publié en 1907. C'est le récit des aventures et des vagabondages de Jack-the-Sailor, un double de l'auteur. Jack London parcourt son pays à pied ou à bord des trains. Il brûle le dur, voyageant illégalement à bord des trains ou dans les wagons de marchandises. À cette époque, en 1893, les chômeurs réclament du gouvernement américain qu'il construise des routes, et leur donne du travail. London se rallie, quelque temps, à cette «armée» de chômeurs et de laissés-pour-compte, commandée par le «général» Kelly. Puis, il reprend la route pour continuer son vagabondage. Il pousse une pointe au Canada, à Montréal (Québec) et à Niagara Falls (Ontario) où il sera arrêter pour vagabondage; puis il est extradé vers les États-Unis pour purger sa peine dans une prison de Buffalo. Quatorze ans plus tard, s'appuyant sur son journal de notes, ses expériences et vagabondages, il écrit The Road. Ce livre marquera les esprits et inspirera la jeunesse revendicatrice de son époque, et Jack Kerouac...

(2)__ On the Road. Sur la Route de Jack Kerouac, publié en 1957. Sous le nom de Sal Paradise, Jack Kerouac raconte ses errances sur les routes de son pays et celles du Mexique. Mais, le héros de ce roman n'est pas Sal Paradise, c'est Dean Moriarty -le double de Neil Cassidy. Ils parcourent des kilomètres et des kilomètres en auto -celle de Dean ou celle d'amis. Il erre sur les routes dont la mythique 66 reliant Chicago à Los Angeles, se déplaçant en auto-stop, à pied ou en brûlant le dur comme Jack London. Dans son roman, Kerouac raconte ses errances sur la route, seul ou avec Cassidy, de 1948 à 1956, dans un style personnel marqué par un tempo jazz qui résonnera à l'oreille et au coeur de la génération d'après-guerre. Il touchera des millions de lecteurs et inspirera toute une jeunesse qui prendra la route avec son livre sous le bras. Il marquera toute une génération nommée la «Beat Generation».

(3)__ The Road. La Route de Cormac McCarthy, publié en 2007. Cinquante ans plus tard, il n'y a plus de trains, plus de routes, plus d'autos. Il n'y a plus rien. Plus personne -digne de ce nom- sauf un homme et un enfant qui marchent vers le Sud, espérant y trouver leur salut. C'est le chemin de la désolation après une terrible catastrophe. Nous sommes dans une impasse, impossible de continuer par la route. Dead End.

Le roman: Le Survenant de Germaine Guèvremont.
L'histoire se déroule au Chenal-du-Moine*, un village de la paroisse Sainte-Anne-de-Sorel, situé près du lac St-Pierre. La vie des habitants de ce village, en 1909-1910, est rythmée par les saisons, et les travaux de la ferme ou la chasse. La nature y est donc omniprésente: la terre, l'eau, la flore, la faune. Les habitants de ce lieu vivent, en quelque sorte, en symbiose avec la nature. Et plusieurs d'entre eux en disent la beauté, pieds sur terre, regard attendri, nez au vent.

Le pivot du roman est l'arrivée, un soir d'automne 1909, à la brunante, d'un «étranger de bonne taille, jeune d'âge». Il frappe à la porte des Beauchemin qui s'apprêtent à souper, et demande à manger. Le père Didace l'invite à s'attabler et lui donne, d'emblée le nom de «Survenant». Didace tient à ce nom, il ignore celui de «Venant» comme on l'appelle parfois.
Au bout de quelques jours durant lesquels Survenant travaillent avec les hommes, Didace et son fils Amable, «Didace finit par lui demander: «Resteras-tu longtemps avec nous autres?» - «Quoi! Je resterai le temps qu'il faut.» [p.21]

Didace veut savoir son nom, savoir d'où il vient. «Je vous questionne pas, reprit l'étranger. Faites comme moi. J'aime la place. Si vous voulez me donner à coucher, à manger et un tant soit peu de tabac par-dessus le marché, je resterai. Je vous demande rien de plus. Pas même une taule. Je vous servirai d'engagé et appelez-moi comme vous voudrez.» - «Pour tout signe de consentement, la main du vieux s'abattit sur l'épaule du jeune homme.» [p.21-p.22]
(...)

«Mais la première fois que le père Didace fit allusion à la rareté de l'ouvrage (...), il sut que son heure était venue de parler franchement ou de repartir:
«Écoutez, le père Beauchemin, vous et vos semblables. Prenez moi (sic) pas pour un larron ou pour un scélérat des grands bois. Je suis ni un tueur ni un voleur. Et encore moins un tricheur. Partout où que je passe, j'ai coutume de gagner mon sel, puis le beurre pour mettre dedans (sic). Je vous ai offert de me garder moyennant asile et nourriture. Si vous avez pas satisfaction, dites-le: la route est proche. De mon bord, si j'aime pas l'ordinaire (la nourriture), pas même le temps de changer de hardes et je pars.»
(...) «Reste le temps qu'il faudra.» [p.43-p.44]
Survenant passera un an chez les Beauchemin. Il ne quittera la maison du père Didace qu'à l'automne 1910, partant comme il est venu. Mais n'anticipons pas.

La présence de l'étranger dont on ne sait rien, même pas son nom, dérange. Au premier chef, le fils de Didace, Amable, et sa femme Alphonsine. Amable est un mou, un paresseux «sans vaillance à l'ouvrage», geignard et déplaisant, au physique ingrat. Survenant, un homme jeune, de forte stature, travailleur et brave, aimé du père Didace, lui fait ombrage. Amable le prend vite en grippe et trouve sans cesse matière à le dénigrer, il en vient, en peu de temps, à le détester carrément.
«(...) Amable et Alphonsine eurent beau être vilains avec lui, il (Survenant) ne s'offensa ni de leurs regards de méfiance ni de leurs remarques mesquines.» [p.43]

La haine d'Amable ne s'épuisera pas après le départ de Survenant, lui qui, pourtant, est toujours éreinté... L'estime qui existe entre le père Didace et Survenant, en qui il voit le fils qu'il aurait aimé avoir, attise la haine d'Amable, lui, le fils mal-aimé -et peu aimable- relégué au second plan.
«(...) Depuis un an, il (Survenant) fait la loi au Chenal du Moine. Icitte, il était comme le garçon de la maison. Ben plus même.(...)» (p.210]
Contrairement à son mari, Alphonsine finit par développer pour Survenant une «amitié bougonneuse». Elle prendra même la défense de Survenant lorsqu'Amable le dénigre de plus belle après son départ. «C'était toujours ben un cœur en or, prêt à tout donner, affirma Alphonsine. Il avait rien à lui.» [p.209]

Les antagonismes qui se manifestent au sein de la famille Beauchemin se retrouvent dans la société du Chenal du Moine. Détesté par les uns, notamment les Provençal et les Salvail, apprécié par les autres, Survenant ne laissait personne indifférent. Même pas les gens qu'il croisait par hasard. Tout compte fait, seules deux personnes l'aiment pour ce qu'il est: le père Beauchemin et Angélina Desmarais, sa voisine. Tous deux sentiront un immense vide et une profonde ennui après son départ. Nous y reviendrons.
Il suffit ici d'ajouter un mot sur Angélina. Dès la première fois qu'elle voit Survenant, elle en tombe amoureuse. «La Noire», comme la surnomme affectueusement Survenant, occupe une place dans le cœur de ce «Grand-dieu-des-routes» qui prend garde de ne pas trop s'attacher à elle, se limitant à une douce et sincère amitié. Et pour cause:
«(...) Ceux du Chenal ne comprennent donc point qu'il porte à la maison un véritable respect qui va jusqu'à la crainte? De jour en jour, pour chacun d'eux, il devient davantage le Venant à Beauchemin: au cirque, Amable n'a même pas protesté quand on l'a appelé ainsi. Le père Didace ne jure que par lui. L'amitié bougonneuse d'Alphonsine ne le lâche pas d'un pas. Z'Yeux-ronds (le chien) le suit mieux que le maître. Pour tout le monde il fait partie (sic) de la maison. Mais un jour, la route le reprendra...» [p.191-p.192]
Et Survenant le sait mieux que personne...
___
* Chenal-du-Moine, avec ou sans trait d'union? Dans le roman: sans trait d'union. Ailleurs, la plupart du temps: avec trait d'union. Germaine Guèvremont me pardonnera d'utiliser le trait d'union car il évite d'étirer le mot, et de faire des trous dans le texte... Nous en avons bien assez sur nos routes.

mardi 2 juin 2009

Le grand dieu des routes

Vive le mois de juin! Les jambes nous fourmillent, et nous pensons déjà à prendre la route. Rencontrer des gens, admirer des paysages, goûter des mets nouveaux... Le coureur des bois en nous s'agite. Le grand dieu des routes souffle notre nom dans le vent pour nous inviter à prendre le large. «Larguons les amarres », comme le chante le Poète.
En attendant le départ, lisons, liserons! Si nous décidons, plutôt, de rester à la maison, bien ancrés dans nos pantoufles, cela ne change rien à l'affaire. Voyageons en esprit sur les ailes de notre imagination, et suivons le mot d'ordre: lisons, liserons! (lire mon billet du 11 février 2009, sur Littéranaute)
Ce qui m'amène à vous présenter notre «libri duo» de juin. Pour les casaniers, ces voyageurs immobiles: Le survenant de Germaine Guèvremont; et pour les nomades, ces voyageurs qui se déplaceront avec leurs appareils nomades (cellulaire, portable...), Sur la route de Jack Kérouac.
Dans le premier cas, c'est le voyageur -surnommé le Survenant- qui rend visite aux sédentaires. et bouleverse la vie tranquille d'un village. Dans le deuxième cas, c'est le sédentaire qui prend la route, et use ses semelles (de chaussures ou de pneus) sur l'asphalte.
Deux styles, deux époques. Deux grands auteurs. Et, soit dit en passant, une photo sur la première de couverture: celle de l'acteur Jean-Nicolas Verreault, qui joue le rôle titre du film éponyme; et celle de Victo-Lévy Beaulieu, auteur d'un essai sur Jack Kérouac. Deux messagers... en quelque sorte. Va pour la photo de l'acteur du film qui a fait connaître l'oeuvre à une nouvelle génération. Mais, l'éditeur de l'essai aurait mieux fait de placer une photo de Jack Kérouac en première de couverture, et celle de l'essayiste en quatrième de couverture. Oui... Non... Qu'en pensez-vous?
Bref, je vous propose de lire le roman Le Survenant de Germaine Guèvremont ou, à tout le moins, de voir ou revoir le film éponyme, et de lire l'essai sur Jack Kérouac de Victor-Lévy beaulieu avant de lire le roman, de Jack Kérouac, Sur la route. Dans le prochain billet, je justifierai mes choix. Un ange passe, je me tais... pour l'instant... À bientôt, donc!