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dimanche 21 juin 2009

Qui êtes-vous... Jack Kerouac (1)

«Ciboire, j'pas capable trouver ça». Imaginez Victor-Lévy Beaulieu feuilletant Satori in Paris, attablé dans un restaurant parisien, qui tombe sur cette phrase. Imaginez... De retour à sa chambre, il y repère «par-ci par-là, de si belles phrases jouales»... «C'est pareille comme si (...)», comme l'écrivait Jack Kerouac. Dès ce moment, VLB aima Jack Kerouac, lut son œuvre, et écrivit l'essai Jack Kérouac, objet de notre lecture de juin (voir le billet du 2 juin 2009, Le grand dieu des routes).
Qui cet américain pour parler, et sacrer, ainsi? On s'en doute... Mais, laissons-le se présenter: «... (...) je suis un démocrato-cornoualo-bretono-aristo-américano-iroquo-canadien-français!» Un melting-pot américain -un creuset, devrais-je dire- à lui tout seul.

Jean Kérouac, ti-Jean, est né à Lowell, Massachussets, en 1922, de même que Gérard, son aîné, et Catherine, sa cadette. Américain par sa naissance, il ne le sera jamais entièrement. Ce qui est paradoxal pour l’un des plus grands écrivains américains du XXè siècle; pour ce coureur des routes, qui a marqué toute une génération. Jack restera Ti-Jean gardant toute sa vie un fil à la patte. Vous verrez. Jusqu’à son entrée à l’école, Ti-Jean ne parle que le joual /«si particulier de Lowel»/*. Ce langage des Canucks se retrouvera dans ses écrits et le ramènera, sans cesse, à ses origines. Comme il reviendra, sans cesse, vers sa mère –qu’il appelle mémère. «... I was going home in October. Everybody goes home in October.» (On the Road)
Ses parents étaient des immigrants. Comme nombre de Canadiens-français catholiques (aujourd'hui, on dirait Québécois), ils avaient fui une vie de misère pour retrouver….une vie de misère dans les usines de Lowell, entre autres, «aux politiques antisyndicales très violentes», écrit Pierre Anctil. Il faut lire le passage cité par VLB dans lequel le père Hamon décrit le travail de manufacture pour saisir l’étendue de leur exploitation éhontée, celle des hommes, des femmes aux salaires inférieurs, celles des enfants. Et aussi, pour comprendre le statut social des Franco-américains, /«une bien sale époque»/ pour ces immigrants. Le roman de Grace Metallious, No Adam in Eden, est parlant : /«avec longs passages en joual (…) et ces personnages brûlés par l’alcool, l’usine et le mépris, ces loques humaines enfoncées jusqu’aux oreilles dans le vieux rêve pourri d’un Québec d’en bas (…)»/ L’image que ces immigrants renvoient aux Lowelliens n’est, décidément pas, flatteuse.
Ceux qui croyaient amasser un magot et retourner sur leur terre pour y vivre décemment verront s’évanouir leur rêve. Pauvre, tu es pauvre; et, tu resteras pauvre. Les manufacturiers y veillent pour s’enrichir et assujettir leur «cheap labor». Ils paient même «des agents recruteurs parcourant les campagnes québécoises (…) afin de vanter les bienfaits de la vie autour des filatures, le Québec était devenu une de leurs principales sources de main-d’œuvre industrielle.», écrit Pierre Anctil. Plus tard, beaucoup d’ouvriers délaisseront les filatures et ouvriront des petits commerces et amélioreront leur sort. Les Franco-américains se donneront des ailes en formant une communauté active autour de leur paroisse.
Vite, et malicieusement, coupées par Mgr Hickey, évêque anglophone de Providence, qui s’accapare les fonds paroissiaux, affamant les écoles paroissiales françaises, se servant des fonds des paroisses françaises pour développer les grandes écoles anglaises…. Qui plus est, il utilise Marie-Rose Ferron, une jeune fille infirme visionnaire, stigmatisée pour arriver à mater Les Sentinellistes, un groupe qui défend l’intérêt des Franco-Américains. En dernier ressort, le pape Pie Xl brandira la menace de l’excommunication pour que les brebis galeuses –je veux dire, les Sentinellistes- rentrent dans les rangs du troupeau. Une vraie pitié!
C’est donc dans ce milieu socio-économique que Ti-Jean vient au monde. Jack le perçoit ainsi: /«Pleins de visions de Français ou de Catholiques ou fantômes de famille qui grouille dans les coins, de portes de placards ouvertes en plein milieu du sommeil de la nuit, avec des enterrements tout autour; couronnes mortuaires sur le bois des vieilles portes blanches à la peinture tout craquelée»/ (dans Docteur Saxe, l’effrayant Bonhomme Sept-Heures de Jack).

Jack Kerouac: un américano-canadien-français. Dans le prochain billet, nous verrons en quoi il est démocrato-cornoualo-bretono-aristo-iroquo.. Ne manquez pas la suite... À bientôt!

___* Les citations encadrées de barres obliques renvoient à l'essai Jack Kérouac, de Victor-Lévy Beaulieu, qui nous sert de guide.

___ Notes. La photo, à gauche, est celle de la famille Kerouac. À droite, la maison dans laquelle est né Jack. La maison retapée... «La maison de naissance», reproduite dans l'essai de VLB, a une toute autre allure. Visiblement, le 9 Lupine Road, est une maison de pauvres... avec des «chars» garés dans la rue et dans une cour voisine.

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