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vendredi 31 juillet 2009

Le Survenant - Germaine Guèvremont

Survenant, personnage central du roman, Le Survenant de Germaine Guèvremont, paru en 1945, s'inscrit-il dans la filière américaine? Est-ce qu'il y a des points communs entre Survenant, Jack London et Jack Kerouac? Survenant est-il, tout simplement, un «quêteux» qui parcourt les routes de la campagne du Québec au XIXe siècle et début XXe siècle? Un phénomène courant à cette époque.
C'est sous cet angle que j'aborderai l'analyse et la critique de ce roman, un classique de la littérature du Québec. Pour l'instant, mettons la table.

En premier lieu, reprenons la trame de cette filière américaine amorcée sur Livranaute en juin 2009, qui a fait l'objet de plusieurs billets. Trois auteurs, trois livres incontournables.

(1)__ The Road de Jack London, publié en 1907. C'est le récit des aventures et des vagabondages de Jack-the-Sailor, un double de l'auteur. Jack London parcourt son pays à pied ou à bord des trains. Il brûle le dur, voyageant illégalement à bord des trains ou dans les wagons de marchandises. À cette époque, en 1893, les chômeurs réclament du gouvernement américain qu'il construise des routes, et leur donne du travail. London se rallie, quelque temps, à cette «armée» de chômeurs et de laissés-pour-compte, commandée par le «général» Kelly. Puis, il reprend la route pour continuer son vagabondage. Il pousse une pointe au Canada, à Montréal (Québec) et à Niagara Falls (Ontario) où il sera arrêter pour vagabondage; puis il est extradé vers les États-Unis pour purger sa peine dans une prison de Buffalo. Quatorze ans plus tard, s'appuyant sur son journal de notes, ses expériences et vagabondages, il écrit The Road. Ce livre marquera les esprits et inspirera la jeunesse revendicatrice de son époque, et Jack Kerouac...

(2)__ On the Road. Sur la Route de Jack Kerouac, publié en 1957. Sous le nom de Sal Paradise, Jack Kerouac raconte ses errances sur les routes de son pays et celles du Mexique. Mais, le héros de ce roman n'est pas Sal Paradise, c'est Dean Moriarty -le double de Neil Cassidy. Ils parcourent des kilomètres et des kilomètres en auto -celle de Dean ou celle d'amis. Il erre sur les routes dont la mythique 66 reliant Chicago à Los Angeles, se déplaçant en auto-stop, à pied ou en brûlant le dur comme Jack London. Dans son roman, Kerouac raconte ses errances sur la route, seul ou avec Cassidy, de 1948 à 1956, dans un style personnel marqué par un tempo jazz qui résonnera à l'oreille et au coeur de la génération d'après-guerre. Il touchera des millions de lecteurs et inspirera toute une jeunesse qui prendra la route avec son livre sous le bras. Il marquera toute une génération nommée la «Beat Generation».

(3)__ The Road. La Route de Cormac McCarthy, publié en 2007. Cinquante ans plus tard, il n'y a plus de trains, plus de routes, plus d'autos. Il n'y a plus rien. Plus personne -digne de ce nom- sauf un homme et un enfant qui marchent vers le Sud, espérant y trouver leur salut. C'est le chemin de la désolation après une terrible catastrophe. Nous sommes dans une impasse, impossible de continuer par la route. Dead End.

Le roman: Le Survenant de Germaine Guèvremont.
L'histoire se déroule au Chenal-du-Moine*, un village de la paroisse Sainte-Anne-de-Sorel, situé près du lac St-Pierre. La vie des habitants de ce village, en 1909-1910, est rythmée par les saisons, et les travaux de la ferme ou la chasse. La nature y est donc omniprésente: la terre, l'eau, la flore, la faune. Les habitants de ce lieu vivent, en quelque sorte, en symbiose avec la nature. Et plusieurs d'entre eux en disent la beauté, pieds sur terre, regard attendri, nez au vent.

Le pivot du roman est l'arrivée, un soir d'automne 1909, à la brunante, d'un «étranger de bonne taille, jeune d'âge». Il frappe à la porte des Beauchemin qui s'apprêtent à souper, et demande à manger. Le père Didace l'invite à s'attabler et lui donne, d'emblée le nom de «Survenant». Didace tient à ce nom, il ignore celui de «Venant» comme on l'appelle parfois.
Au bout de quelques jours durant lesquels Survenant travaillent avec les hommes, Didace et son fils Amable, «Didace finit par lui demander: «Resteras-tu longtemps avec nous autres?» - «Quoi! Je resterai le temps qu'il faut.» [p.21]

Didace veut savoir son nom, savoir d'où il vient. «Je vous questionne pas, reprit l'étranger. Faites comme moi. J'aime la place. Si vous voulez me donner à coucher, à manger et un tant soit peu de tabac par-dessus le marché, je resterai. Je vous demande rien de plus. Pas même une taule. Je vous servirai d'engagé et appelez-moi comme vous voudrez.» - «Pour tout signe de consentement, la main du vieux s'abattit sur l'épaule du jeune homme.» [p.21-p.22]
(...)

«Mais la première fois que le père Didace fit allusion à la rareté de l'ouvrage (...), il sut que son heure était venue de parler franchement ou de repartir:
«Écoutez, le père Beauchemin, vous et vos semblables. Prenez moi (sic) pas pour un larron ou pour un scélérat des grands bois. Je suis ni un tueur ni un voleur. Et encore moins un tricheur. Partout où que je passe, j'ai coutume de gagner mon sel, puis le beurre pour mettre dedans (sic). Je vous ai offert de me garder moyennant asile et nourriture. Si vous avez pas satisfaction, dites-le: la route est proche. De mon bord, si j'aime pas l'ordinaire (la nourriture), pas même le temps de changer de hardes et je pars.»
(...) «Reste le temps qu'il faudra.» [p.43-p.44]
Survenant passera un an chez les Beauchemin. Il ne quittera la maison du père Didace qu'à l'automne 1910, partant comme il est venu. Mais n'anticipons pas.

La présence de l'étranger dont on ne sait rien, même pas son nom, dérange. Au premier chef, le fils de Didace, Amable, et sa femme Alphonsine. Amable est un mou, un paresseux «sans vaillance à l'ouvrage», geignard et déplaisant, au physique ingrat. Survenant, un homme jeune, de forte stature, travailleur et brave, aimé du père Didace, lui fait ombrage. Amable le prend vite en grippe et trouve sans cesse matière à le dénigrer, il en vient, en peu de temps, à le détester carrément.
«(...) Amable et Alphonsine eurent beau être vilains avec lui, il (Survenant) ne s'offensa ni de leurs regards de méfiance ni de leurs remarques mesquines.» [p.43]

La haine d'Amable ne s'épuisera pas après le départ de Survenant, lui qui, pourtant, est toujours éreinté... L'estime qui existe entre le père Didace et Survenant, en qui il voit le fils qu'il aurait aimé avoir, attise la haine d'Amable, lui, le fils mal-aimé -et peu aimable- relégué au second plan.
«(...) Depuis un an, il (Survenant) fait la loi au Chenal du Moine. Icitte, il était comme le garçon de la maison. Ben plus même.(...)» (p.210]
Contrairement à son mari, Alphonsine finit par développer pour Survenant une «amitié bougonneuse». Elle prendra même la défense de Survenant lorsqu'Amable le dénigre de plus belle après son départ. «C'était toujours ben un cœur en or, prêt à tout donner, affirma Alphonsine. Il avait rien à lui.» [p.209]

Les antagonismes qui se manifestent au sein de la famille Beauchemin se retrouvent dans la société du Chenal du Moine. Détesté par les uns, notamment les Provençal et les Salvail, apprécié par les autres, Survenant ne laissait personne indifférent. Même pas les gens qu'il croisait par hasard. Tout compte fait, seules deux personnes l'aiment pour ce qu'il est: le père Beauchemin et Angélina Desmarais, sa voisine. Tous deux sentiront un immense vide et une profonde ennui après son départ. Nous y reviendrons.
Il suffit ici d'ajouter un mot sur Angélina. Dès la première fois qu'elle voit Survenant, elle en tombe amoureuse. «La Noire», comme la surnomme affectueusement Survenant, occupe une place dans le cœur de ce «Grand-dieu-des-routes» qui prend garde de ne pas trop s'attacher à elle, se limitant à une douce et sincère amitié. Et pour cause:
«(...) Ceux du Chenal ne comprennent donc point qu'il porte à la maison un véritable respect qui va jusqu'à la crainte? De jour en jour, pour chacun d'eux, il devient davantage le Venant à Beauchemin: au cirque, Amable n'a même pas protesté quand on l'a appelé ainsi. Le père Didace ne jure que par lui. L'amitié bougonneuse d'Alphonsine ne le lâche pas d'un pas. Z'Yeux-ronds (le chien) le suit mieux que le maître. Pour tout le monde il fait partie (sic) de la maison. Mais un jour, la route le reprendra...» [p.191-p.192]
Et Survenant le sait mieux que personne...
___
* Chenal-du-Moine, avec ou sans trait d'union? Dans le roman: sans trait d'union. Ailleurs, la plupart du temps: avec trait d'union. Germaine Guèvremont me pardonnera d'utiliser le trait d'union car il évite d'étirer le mot, et de faire des trous dans le texte... Nous en avons bien assez sur nos routes.

jeudi 30 juillet 2009

Jack Kerouac - Le testament est un faux!

Le testament de Gabrielle (Lévesque) Kerouac, mère de Jack Kerouac et son héritière, en faveur de Stella Sampas Kerouac, la 3e épouse de Kerouac, est un faux! Il a été forgé de toutes pièces. « A forged, fraudulent, fake will...» C'est par ce biais, peu glorieux, que Kerouac fait la une de l'actualité littéraire, et judiciaire. Fort peu de journalistes en profitent pour parler de son œuvre: on court au plus pressé et on fait ça court... Au suivant! Qu'à cela ne tienne, d'autres s'en chargent.

Le jugement rendu par le juge Georges W. Greer (Tribunal de la Floride) est sans équivoque: le 13 février 1973, Gabrielle Kerouac était dans l'incapacité physique de signer le testament qui porte cette date.
«Clearly, Gabrielle Kerouac was physically unable to sign the document dated February 13, 1973 and, more importantly, that which appears on the will dated that date is not her signature.»

L'avocate Elaine McGinnis affirme que tous ceux qui pourraient être impliqués dans cette fraude étant morts, on ne saura jamais qui sont les coupables. Le mystère demeurera entier. Le raisonnement est un peu court. On trouve dans les annales judiciaires, et dans l'Histoire, des révélations concernant des actes frauduleux ou criminels commis des années auparavant. En général, tout se sait, tout finit par se savoir, car il y a -quasiment- toujours quelqu'un qui sait... L'homme est un animal raisonnable... mais bavard: il a le don de la parole et il s'en sert à raison et à tort.
Elaine McGinnis est l'avocate des plaignants Jan Kerouac (Janet Michelle Kerouac), fille de Joan Haverty, sa 2e épouse et fille unique de Jack Kerouac. Après le décès de Joan Kerouac, son cousin Paul Blake Jr et neveu de Kerouac a repris le flambeau.

À son décès, le «faux» héritage de Stella Sampas passe aux mains de la famille Sampas qui, depuis, encaisse les droits d'auteurs de Jack Kerouac, les produits de la vente de ses biens personnels au plus offrant, par exemple, la vente de son imperméable. Elle a vendu le manuscrit sur rouleau de On the Road ( 1957) au propriétaire de «Indianapolis Colts» pour 2,43 millions. Mais ne nous indignons pas: «The Sampasses have previously said their aim was not to profit», a déclaré un porte-parole de la famille Sampas.
Des vrais pince-sans-rire! Durant ce temps... Paul Blake Jr., le neveu de Kerouac, vivait dans un complet dénuement.

Plutôt que de vendre les oeuvres et les biens de son oncle à la pièce, Joan Kerouac souhaitait qu'ils soient cédés à une bibliothèque qui s'en porterait acquéreuse, selon Gerard Nicosia, un biographe de Kerouac et ami de Jan Kerouac.

Peu de temps avant de mourir, Jack Kerouac a écrit une lettre à son jeune neveu, Paul Blake Jr, exprimant sa volonté de laisser son œuvre et ses biens à sa mère, et... «And not to leave dingblasted (two expletives) things to my wife's one hundred Greek relatives.» Kerouac a dû se retourner dans sa tombe...lorsque l'héritage est passé entre les mains de la famille Sampas.

Décidément, le sort s'est joué de lui deux fois plutôt qu'une... Il n'a pu retracer ses origines bretonnes, et le trésor de l'ancêtre a échappé à ses ayants-droit.

Sur mon billet du 12 juillet 2009, citant Le Télégramme.com, j'ai écrit:
«À la suite d'une procédure criminelle, et un refus de paternité, M. Le Bihan se Kerouac, qui résidait à Huelgot s'est expatrié au Canada (en fait, c'est son père qui, ayant reçu une lettre de cachet, l'oblige à sortir du pays), modifiant en vol son patronyme en Le Bris de Kerouac». Le livre de Patricia Dagier et d'Hervé Quéméner révèle que l'ancêtre possédait un trésor dans le Centre-Bretagne. «Mais Urbain-François le Bihan s'était ingénié à monter une fourberie pour que sa progéniture ne puisse jamais devenir son ayant droit.» Il a réussi. Quand Patricia Dagier a découvert le pot aux roses, les Kerouac du Québec ont appris qu'il y avait prescription.

Pour sa part, Jack Kerouac avait fait deux voyages en France, en 1957 et en 1965 pour retrouver, tout simplement, ses racines bretonnes vantées par son oncle Mike et son père. Il ne trouvera rien, d'où son retentissant «Ciboire, j'pas capable trouver ça.», dans Satori in Paris. Patricia Dagier, généalogiste, a dû mener une enquête serrée pour retracer cette filiation bretonne qui la mènera au trésor... inaccessible.

À présent, que justice a été rendue dans son pays, que ses ayants-droit ont été reconnus, et que les imposteurs ont été chassés du Temple, Jack Kerouac peut reposer en paix dans son Nirvana éternel, au milieu des Clochards célestes.

R.I.P.

Pour terminer en beauté, écoutez Jack Kerouac qui nous fait la lecture d'une voix cadencée, «écoutez» mon billet du 14 juillet 2009.
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R.I.P. En latin: Requiescat in pace. - Qu'il repose en paix. En anglais: Rest in Pace - Repose en paix.
À ce que j'ai déjà lu, au cours de la guerre de Sécession américaine, un général sudiste enterrait -faisait enterrer- ses soldats morts au combat. Une croix de bois sommaire surmontait la sépulture. On le surnomma le général RIP.
Source des informations: Google, et les liens avec des articles d'actualité reliés au même sujet.
Autres source ssur Internet: Le Télégramme.com; Dharma Beats; La fiche du livre de Patricia Dagier et d'Hervé Quéméner, Jack Kerouac. Breton d'Amérique, publié aux Éditions Le Télégramme.
Volume: Kérouac, essai de Victor-Lévy Beaulieu, Éditions Trois-Pistoles.

mardi 14 juillet 2009

Jack Kerouac Reads from On the Road

dimanche 12 juillet 2009

Jack Kerouac, un Breton d'Amérique - Patricia Dagier/Hervé Quéméner

«Ciboire, j'pas capable trouver ça»*, écrit Jack Kerouac, dans Satori à Paris. Jack Kerouac a fait deux voyages en France, en 1957 et 1965, pour retrouver ses racines bretonnes, mais en vain. Pourtant, son père lui disait: «Ti-Jean n'oublie jamais que tu es breton»*. Son oncle Mike lui parlait de: «(son) ancêtre, l'honorable soldat, baron Louis Alexandre Lebris de Duluoz...»*
D'ailleurs, Jack Kerouac dit: «... (...) je suis un démocrato-cornoualo-bretono-aristo-américano-iroquo-canadien-français!»* C'est, justement, cette affirmation qui a guidé mes trois billets biographiques intitulés Qui êtes-vous... Jack Kerouac? (se référer aux billets du 21 juin 2009 et aux deux suivants).
La recherche de sa filiation bretonne n'a pas abouti, d'où son retentissant «ciboire», bien québécois. Et pour cause.

Patricia Dagier, généalogiste, a dû mener une enquête serrée pour retracer cette filiation. Elle a consigné le fruit de ses recherches dans un livre, publié aux Éditions Le Télégramme, Jack Kerouac, Breton d'Amérique. Hervé Quéméner, journaliste, complète le tableau par une analyse de la vie et de l'oeuvre de Jack Kerouac à travers le prisme de sa filiation bretonne.
J'ai lu sur Le Télégramme.com: «À la suite d'une procédure criminelle, et un refus de paternité, M. Le Bihan de Kerouac, qui résidait à Huelgoat s'est expatrié au Canada (en fait, c'est son père qui, ayant reçu une lettre de cachet, l'oblige à sortir du pays), modifiant en vol son patronyme en Le Bris de Kerouac». Le livre révèle que l'ancêtre possédait un trésor dans le Centre-Bretagne. «Mais Urbain-François Le Bihan s'était ingénié à monter une fourberie pour que sa progéniture ne puisse jamais devenir ayant droit». Il a réussi, car il y a prescription. Je vous signale la parution de son livre, car il pourrait vous intéresser.

Pour ma part, je vous propose de finir en beauté, en écoutant Jack Kerouac lire la dernière page de On the Road, au son d'air de jazz, et en regardant défiler des photos que vous reconnaîtrez sans doute.
Ne manquez mon prochain billet! C'est un rendez-vous...
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* Citation tirée de l'essai de Victor-Lévy Beaulieu, Jack Kérouac, Éditions des Trois-Pistoles. Essai qui nous a guidés dans la lecture de Sur la route. Et qui a nous permis de (mieux) comprendre l'univers complexe de ce grand écrivain qu'est Jack Kérouac qui, soit dit en passant, à garder «son accent» jusqu'à la fin de sa vie. À preuve l'entrevue au Sel de la semaine...

vendredi 10 juillet 2009

Le Sel de la semaine: entrevue de Jack Kerouac avec Fernand Seguin

Le sel, on le sait, est le symbole de la sagesse. Dans l'Antiquité, les Romains, par exemple, mettaient une pincée de sel dans la bouche des nouveaux nés, et ainsi la sagesse. Dans le rituel du baptême, le prêtre catholique fait de même, pour inculquer à l'enfant la sagesse ainsi que le goût des choses divines. Dans un autre registre, on est en mesure de s'attendre à ce que Le Sel de la semaine, animée par un intervieweur aussi chevronné Fernand Seguin fasse preuve, sinon de sagesse, du moins d'une sage prudence. J'ai visionné plusieurs émissions, et c'est le cas.

Par contre, l'entrevue avec Jack Kerouac me rend fort mal à l'aise. Je le dis, tout de go, les petits rires nerveux de l'assistance,et le sourire gêné de l'intervieweur me choquent. Savait-on qui était Jack Kerouac? On me répondra que l'émission avait pour but de le faire connaître. D'accord, mais s'attendait-on à l'entendre parler Canuck? L'entendre parler en joual, à la télévision... Non. Qui avait lu ses livres? N'aurait-il pas fallu «briefer» l'assistance, et les techniciens, avant l'émission? Cependant, même si Jack Kerouac n'y fait pas bonne figure, il vaut la peine de consacrer un peu de temps pour écouter ce qu'il a à dire et pour entendre son parler savoureux -comme dans certains de ses livres. Et aussi pour s'attendrir devant des mots et expressions que vous reconnaîtrez pour les avoir déjà entendus «... on mangeait des cortons, des tourquiéres». Jack Kerouac s'exprime avec cœur et franchise dans la langue qu'il tient de ses origines canadiennes-françaises modestes, et que Mémère parle si bien.
Pour voir et entre l'entrevue de Jack Kerouac au Sel de la semaine....

En complément. L'entrevue de Bernard Derome, en1968, à l'occasion de la lecture des Belles-Soeurs de Michel Tremblay vaut son poids d'or. «Avez-vous l'impression de vous abaissez en jouant en joual ses personnages?», demande-t-il, avec condescendance, à Denise Filiatrault et Denise Proulx. «Est-il nécessaire de se complaire dans le joual?» La question est adressée à Michel Tremblay et André Brassard. Écoutez les réponses... C'est court: 5 minutes. C'est... révélateur!

On est en 1968; l'entrevue avec Jack Kerouac se déroule en 1967... à Radio-Canada, s'il vous plaît.

jeudi 9 juillet 2009

Sur la route de Jack Kerouac / Dessin de Kerouac

Nous voilà au bout de notre route, cheveux en broussailles, vêtements fripés, semelles trouées. Avec un brin de tristesse? Comme Jack kerouac... Tout de même, roulons les derniers kilomètres en beauté: un dessin et deux vidéos. De quoi s'en mettre plein la vue! Trois billets en rafale.

Les extraits de chacun des chapitres de Sur la route sont accompagnés d'images. Pour le premier chapitre (extraits (1), j'ai choisi la photo de Neal Cassidy et Jack Kerouac, alias Dean Moriarty et Sal Paradise dans le roman. Les deux protagonistes: Neal, le héros et le vrai beat, et Jack, le témoin, celui qui raconte, le pape de la beat generation.
Pour les quatre autres chapitres, correspondant à autant d'extraits, un dessin avec une note manuscrite illisible. À moins que vous ayez des yeux de lynx... Par contre, la note agrandie, par mes bons soins et à l'aide -tout de même- de Nero PhotoSnap Viewer- devient (presque) lisible. Au cas où... j'ai transcrit la note.










Dans le coin gauche: 1952

Dans le coin droit: New York

Dear Mr. Wyn:
I submit this as my idea of an appealing commer-
cial cover expressive of the book. The cover for ''The Town and
the City'' was as dull as the title and the photo backflap.
Wilbur Pippin's photo of me is the perfect On the Road one...
if will look like the faceoof (sic) the figure below.
J.K.


Ci-haut: deux routes parallèles qui se rejoignent à New York.
Du côté gauche: Frisco... Denver... Chicago... New York
Du côté droit: LA... Texas... St-Louis... New York

Sur le dessin de la route: A modern Novel By John (non pas Jack...)

Sur la page complète, vous pouviez lire: Kerouac Kerouac... écrit de plus en plus gros. Et que porte John sous le bras droit? Un immense «flasque de boisson». Allez, bye! À demain.

mercredi 8 juillet 2009

Extraits de Sur la route de Jack Kerouac (5)

Nous terminons ici notre voyage... avec six extraits tirés de la cinquième, et dernière partie, de Sur la route avec Jack Kerouac, Éditions Gallimard, collection Folio Plus (p471-479). Une fin de roman triste et belle, tristement belle, et poétique.

01. À l'automne, je quittai moi-même Mexico (les papiers de divorce en main, Dean avait quitté Mexico) pour rentrer chez moi et, une nuit, juste au-delà du poste frontière de Laredo, à Dilley, dans le Texas, j'étais planté sur la route chaude au-dessous d'une lampe à arc où s'écrasaient les papillons quand j'entendis un bruit de pas au loin dans l'obscurité et voilà qu'un grand vieillard, avec des cheveux blancs qui lui t0mbaient dans le cou, passa en raclant les pieds avec un paquet sur le dos et, me voyant sur son chemin, il dit:«Cherche l'homme en gémissant», et il retourna en raclant les pieds à son obscurité. Est-ce que ceci signifiait que je devais, pour finir, continuer à pied mon pèlerinage sur les routes ténébreuses d'Amérique? Luttant contre la tentation, je rentrai en vitesse à New York (...). (p.474)
02. Ainsi la vie de Dean trouvait-elle son assiette avec son épouse la plus fidèle, la plus aigrie et la plus roublarde, Camille, et j'en remerciai Dieu pour lui. (p.477)
03. La dernière fois que je le vis ce fut dans des circonstances tristes et étranges. (...) Ils se rencontrèrent bien (Dean et Rémi Bonceur) mais Dean ne savait plus parler et il ne dit rien et Rémi lui tourna le dos (celui-ci refusa net qu'il les accompagne au) concert de Duke Ellington au Metropolitan Opera. (...) il m'aimait bien, mais il n'aimait pas mes imbéciles d'amis. (p.477)
04. (...) Dean, déguenillé dans son manteau mité qu'il avait spécialement emporté en prévision des températures glaciales de l'Est, s'en alla tout seul à pied et, au moment où je le vis, il tournait le coin de la Septième Avenue regardant la rue droit devant lui, et repartait à l'attaque. (p.478)
05. (...) Et on partit pour ce concert triste et déplaisant où j'allais à contrecoeur, et tout le temps, je pensais à Dean, je pensais qu'il avait repris le train et se tapait plus de trois mille miles à travers cet horrible pays et ne savait d'ailleurs pas pourquoi il était venu, sinon pour me voir. (p.479)
06. Ainsi donc, en Amérique, quand le soleil descend et que je suis assis près du fleuve sur le vieux quai démoli, contemplant au loin, très loin, le ciel au-dessus du New Jersey, et que je sens tout ce pays brut rouler en bloc son étonnante panse géante jusqu'à la côte Ouest et toute cette route qui y va, tous ces gens qui rêvent dans son immensité -- et, dans l'Iowa, je le sais, les enfants à présent doivent être en train de pleurer dans ce pays où on laisse les enfants pleurer, et cette nuit les étoiles seront en route et ne savez-vous pas que Dieu c'est le Grand Ours et l'homme-orchestre? et l'étoile du berger doit être en train de décliner et de répandre ses pâles rayons sur la prairie, elle qui vient juste avant la nuit complète qui bénit la terre, obscurcit tous les fleuves, décapite les pics et drape l'ultime rivage et personne, personne ne sait ce qui va arriver à qui que ce soit, n'étaient les mornes misères de l'âge qu'on prend-- alors je pense à Dean Moriarty, je pense même au vieux Dean Moriarty, le père que nous n'avons jamais trouvé, je pense à Dean Moriarty. (p.479).

lundi 6 juillet 2009

Extraits de Sur la route de Jack Kerouac (4)

Nous en sommes à la quatrième partie du roman Sur la route de Jack Kerouac, publié chez Gallimard, dans la collection Folio Plus (p.385 à p.469). Je vous propose d'en lire quatre extraits. J'ai lu et relu ce roman, j'ai pris des notes et choisi des extraits, que je tape ensuite et relis... Sachez bien que j'y trouve toujours autant d'intérêt. Et, comme vous le savez, je le fais pour vous... Merci de lire ces extraits!

01. Je tirai quelque argent de la vente de mon livre. Je libérai ma tante du souci de son loyer pour le reste de l'année. Chaque fois que le printemps vient sur New York, je ne puis résister aux appels de la terre qui viennent du New Jersey avec les brises du fleuve et il faut que je parte. Je partis donc. Pour la première fois de notre vie, je dis au revoir à Dean de New York et le lassai là. Il travaillait dans un parking (...) (p.387)
02. «Ah, Sal, bon Dieu, je voudrais que tu ne partes pas, vraiment je voudrais, ça sera la première fois que je serai à New York sans mon vieux copain» Et il dit (Dean):«À New York, je suis en exil, c'est Frisco mon port d'attache. (p.389)
03. Je m'apprêtais à partir pour le Mexique quand soudain Doll de Denver me téléphona une nuit et dit:«Eh bien, Sal, devine qui rapplique à Denver?» Je n'en avais aucune idée. «Il est déjà en route, c'est un tuyau que j'ai eu. Dean a acheté une bagnole et il est parti te rejoindre.» Soudain, comme dans une vision, j'ai vu Dean, Ange de feu, frissonnant, effroyable, venir à moi tout palpitant sur la route, s'approcher comme un nuage, à une vitesse énorme, me poursuivre dans la plaine tel le Voyageur au suaire, et fondre sur moi. Je vis son visage immense au-dessus des plaines avec son idée fixe démentielle et décharnée et ses yeux rayonnants; je vis ses ailes; sa vieille guimbarde, son char d'où jaillissaient des milliers d'étincelles et de flammes; je la vis qui embrasait tout sur son parcours, qui se frayait même sa propre route et passait à travers le maïs, les villes, anéantissait les ponts, asséchait les fleuves. Elle venait vers l'Ouest comme la colère. Je compris que Dean était de nouveau saisi de folie. (...) Il fonçait de nouveau vers l'Ouest à travers le continent gémissant et terrible et bientôt il allait arriver. (p.401)
04. Douze heures après (le départ de Dean, dans mon délire mélancolique, je pris enfin conscience de son départ. (...) Quand j'allai mieux je compris quelle vache il était mais je devais comprendre la complication impossible de sa vie, qu'il fallait bien qu'il me laisse là, malade, pour retrouver ses épouses et ses peines. «D'accord, Dean, je ne dirai rien.» (p.469) [Dean retournait à New York avec ses papiers de divorce en main, qu'il était venu chercher au Mexique]

samedi 4 juillet 2009

Extraits de Sur la route de Jack Kerouac (3)

Voici dix extraits tirés de la troisième partie du roman Sur la route, de Jack Kerouac, Éditions Gallimard, collection Folio Plus. (p. 279 à p. 384). Sur la route est un gros roman d'aventures, qui se lit bien. Une fois en main, on ne peut plus se lâcher, c'est lui qui nous tient et nous amène... Laissez-vous emporter...

01. Au printemps 1949, j'avais économisé quelques dollars sur ma bourse d'ancien G.I. et j'allai à Denver, avec l'idée d'aller me caser là-bas. Je m'imaginais au coeur de l'Amérique, en vrai patriarche. Je m'y retrouvai tout seul. Personne n'était là (...) (p.279)
02. Ou bien vous trouvez quelqu'un qui vous rappelle votre père dans des endroits comme Montana, ou vous cherchez le père d'un ami dans un lieu où il n'est plus. (p.280)
03. Un soir de lilas, je marchais, souffrant de tous mes muscles (...) dans le quartier noir de Denver, souhaitant être un nègre, avec le sentiment que ce qu'il y avait de mieux dans le monde blanc ne m'offrait pas assez d'extase, ni assez de vie, de joie, de frénésie, de ténèbres, de musique, pas assez de nuits. (...) J'avais envie d'être un Mexicain de Denver, ou même un pauvre Jap accablé de boulot, n'importe quoi sauf ce que j'étais si lugubrement, un «homme blanc» désabusé. J'avais eu toute ma vie des ambitions de blanc; c'était pour ça que j'avais abandonné une brave fille comme Terry dans la vallée de San Joaquin [Mexique] (p.280)
04. J'étais seulement moi-même, Sal Paradise, sinistre, rôdant dans l'ombre violette, dans cette nuit intolérable douce, souhaitant de pouvoir échanger tous les mondes contre le bonheur, la pureté de coeur, la nature extatique des nègres d'Amérique. (p.281)
05. Comme nous passions la frontière qui sépare le Colorado de l'Utah, je vis Dieu dans le ciel sous les espèces de vastes nuages dorés par le soleil qui surplombaient le désert et semblaient pointer un doigt vers moi et dire:«Passe par ici et va de l'avant, tu es sur le chemin du ciel.» (p.282)
06.Avant d'avoir pu m'en apercevoir, je contemplais une fois encore la fabuleuse cité de San Francisco qui se déployait sur la baie au coeur de la nuit. Je courus immédiatement chez Dean. (...) j'avais coupé tous les ponts et me foutais complètement de tout. (p. 283)
07. Mon arrivée prit plutôt l'allure insolite d'une apparition de l'ange maléfique au logis des blancs et purs agneaux (...) (p.284)
08. Il (Dean) me félicita affectueusement pour le livre que j'avais terminé et qui était maintenant accepté par les éditeurs. (p.290)
09. Je compris soudain que Dean, en vertu de la suite innombrable de ses péchés, était en passe de devenir l'Idiot, l'Imbécile, le Saint de la bande.
10. (...) nous (Sal et Dean) avions encore bien du chemin à faire. Mais qu'importait, la route, c'est la vie. (p.329).

jeudi 2 juillet 2009

Extraits de Sur la route de Jack Kerouac (2)

Aujourd'hui, je vous présente quatorze extraits tirés de la deuxième partie du roman, Sur la route de Jack Kerouac, Édition Gallimard, collection Folio Plus. (p.167 à p.275). J'espère, grandement, que vous apprécierez mon travail. Et, surtout, que cette lecture vous conduira au livre.

01. Les gens du Sud n'aiment le moins du monde les cinglés, ni le genre de Dean. Il sne faisaient absolument pas attention à eux. La folie de Dean s'était épanouie en fleur surnaturelle. (p.174)
02. J'avais passé un Noël paisible à la campagne, comme je pus en juger quand on revint à la maison et que je vis l'arbre de Noël, les cadeaux, et que je humai la dinde rôtie et entendis les conversations des parents, mais maintenant la mouche m'avait piqué de nouveau et le nom de la mouche c'était Dean Moriarty et j'étais bon pour un nouveau galop sur la route. (p.177)
03. «J'avais envie de me marier avec une fille, leur dis-je (à Dean et Marylou), afin de pouvoir reposer mon âme en sa compagnie jusqu'à ce qu'on soit vieux tous les deux. Ça ne peut pas durer toujours, toutes ces frénésies et ces galopades. Il faut aller quelque part, trouver quelque chose. (p. 180)
04. Naturellement, maintenant que je reviens sur cette énigme (un rêve) il s'agit simplement de la mort: la mort qui nous rejoindra avant le paradis. La seule chose après laquelle nous languissons au cours de notre existence, qui nous fait soupirer, et gémir et souffrir toutes sortes de doucereuses nausées, c'est le souvenir de quelque félicité perdue que l'on a sans doute éprouvée dans le sein maternel et qui ne saurait se reproduire (mais nous nous refusons à l'admettre) que dans la mort. Mais qui souhaite mourir? (...) J'en fis part à Dean et il y reconnut aussitôt le pur et simple désir de la mort pour elle-même; mais puisque aucun de nous ne ressuscite jamais, lui, à juste titre, ne voulait pas avoir affaire à elle, et je me rangeai à son opinion. (p.192)
05. C'étaient trois enfants (Dean, Marylou et lui) dans la nuit de la terre qui voulaient affirmer leur liberté et les siècles passés, de tout leur poids, les écrasaient dans les ténèbres. (p. 203)
06. (...) tandis que le fleuve (Mississippi) roulait ses flots sous les étoiles depuis le coeur de l'Amérique, je savais, je savais à la folie que tout ce que j'avais connu et connaîtrais jamais était Un. (p.227)
07. Quel est ce sentiment qui vous étreint quand vous quittez des gens en bagnole et que vous les voyez rapetisser dans la plaine jusqu'à, finalement, disparaître? C'est le monde trop vaste qui nous pèse et c'est l'adieu. Pourtant nous allons tête baissée au-devant d'une nouvelle et folle aventure sous le ciel. (p.241)
08. - Tout me rend triste. Oh, Bon Dieu, je voudrais que Dean ne soit pas si dingue. (p.252)
09. Je m'éveillai d'un profond sommeil (en Arizona) pour les voir tous endormis comme les agneaux et la bagnole arrêtée Dieu sait où - je ne pouvais rien voir à travers les vitres couvertes de buée. (p.254)
10. C'était triste de voir sa haute silhouette (Hingham, un écrivain) diminuer dans l'obscurité à mesure qu'on s'éloignait, exactement comme les autres silhouettes à New York et à la Nouvelle-Orléans: ils vacillent sous l'immensité étoilée et tout ce qu'ils sont est englouti. Où aller? Que faire? Dans quel but?... Dormir. Mais cette équipe de déments était bandée vers l'avenir.
11. Je regardais pas la fenêtre les clignotements du néon et je me demandais: Où est Dean et pourquoi ne s'occupe-t-il pas de nous (Marylou et lui)? J'ai perdu ma confiance en lui cette année-là. Je suis resté à San Francisco et j'y ai passé la plus sale période de ma vie. (p.264)
12. Je lui ai parlé du plus grand serpent du monde enroulé au centre de la terre (Sal raconte un rêve à Marylou). (...) Je lui dis que ce serpent c'était Satan. (...) Un saint, appelé docteur Sax le tuera (...) La faim et l'amertume me faisaient perdre les pédales. (p.265)
13. Je n'avais jamais vu de musiciens (de jazz) aussi loufoques. Tout le monde soufflait à Frisco. C'était le bout du continent; ils se foutaient de tout. Dean et moi, on se baguenauda de cette façon à San Francisco jusqu'à ce que j'aie reçu mon nouveau chèque de l'armée et que je fasse mon sac pour rentrer chez moi. (p.274)
14. À l'aube, j'ai pris mon car pour New York et dis adieu à Dean et à Marylou. (...) On pensait tous qu'on ne se reverrait plus jamais et on s'en foutait. (p.275)