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mercredi 29 avril 2009

L'auberge des courants d'air

Il y a quelque temps déjà, j'ai commencé la lecture de Dans le scriptorium, de Paul Auster. Puis, un soir, j'ai mis le livre de côté pour lire autre chose, et je l'ai oublié sous une pile de livres. Il a fallu que je lise Seul dans le noir pour me rappeler son existence... Madame Blank, peut-être! Enfin, j'en ai fait la lecture, deux fois plutôt qu'une! J'ai donc lu les deux livres en sens inverse, en commençant par le plus récent. Néanmoins, je les ai lus dans le sens de la progression vers l'immatérialité, et dans celle de la complexité, jusqu'à la mise en abîme.
Dans Seul dans le noir, l'écart entre le rêve, la fiction et la réalité est si mince qu'ils en arrivent, par moment, à se confondre. Dans la tête d'August Brill, ce vieil homme aux prises avec son passé, vit tout un monde -qu'il invente- dont l'histoire se déroule en une seule nuit. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il a une imagination débordante. Il erre dans une contrée nébuleuse, tout en restant en contact avec la réalité.
Dans Dans le scriptorium, Mr Blank, un vieil homme, également, hanté par son passé, agite la folle du logis dans tous les sens. Un seul jour lui suffit pour abolir ces notions qui guident nos perceptions: l'espace et le temps; l'imagination, le rêve et la réalité; la mémoire, le souvenir et l'oubli; la jeunesse et le vieillissement. Dans ce livre-ci, tout s'enchevêtre, les frontières sont abolies.
Il y a un Mr Brill, il n'y a pas de Mr Blank... L'un et l'autre portent un pyjama. L'histoire de l'un se déroule la nuit, celle de l'autre, le jour. L'un est personnage, l'autre chimère. Bienvenue à l'auberge des courants d'air où le déjeuner est du vent!

jeudi 23 avril 2009

Objets inanimés... au cinéma

«Objets inanimés, avez-vous donc une âme / Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer?»
Archiconnu, ce vers d'Alphonse de Lamartine! On sait moins qu'il est tiré de son poème Milly ou la terre natale.*
Ce vers m'est revenu à l'esprit lorsque j'ai lu dans Seul dans le noir, un passage où Katya ébauche une théorie de l'art cinématographique, qui suscite l'admiration du grand-père. Tous deux venaient de visionner trois films d'affilée: La Grande Illusion, Le Voleur de bicyclette et le Monde d'Apu.
«Les objets inanimés comme moyen d'expression des émotions humaines. C'est ça, le langage cinématographique. Seuls les bons réalisateurs comprennent comment y arriver, mais Renoir, De Sica et Ray sont trois des meilleurs, n'est-ce pas?»
Puis, Katya étaye sa théorie à partir de ces trois exemples. (pages 25 à 30).
En repensant à ces films, August, trouve un autre film à ajouter à la liste de Katya: Voyage à Tokyo de Ozu. (pages 79 à 85).
Des pages lumineuses que seul un Paul Auster, scénariste et cinéaste, amoureux du cinéma, pouvait écrire. Je suis absolument certaine que vous serez aussi admiratif qu'August. Ici, rien de narcissique... À preuve, le début de la p.80, que je vous laisse découvrir.
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* http://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/poemes/alphonse_de_lamartine/milly_ou_la_terre_natale_i.html

lundi 20 avril 2009

Qui êtes-vous... Paul Auster? (2)

Dans mon billet du 18 avril, j'ai commis un oubli... Comme dirait l'autre, veuillez accepter ma réparation!
Or, donc, voici que, je vous invite à relire mon billet du 8 avril 2009, intitulé Paul (Auster) et François (Busnel) à La Grande Librairie.
Et, de ce fait, à revoir l'émision: http://www.france5.fr/la-grande-librairie/index.php?page=article&numsite=1403&id_rubrique=1406&id_article=6707

samedi 18 avril 2009

Qui êtes-vous... Paul Auster? (1)

Je laisserai Paul Auster répondre à la question en titre. Pour ce faire, j'ai choisi deux vidéos.
Dans la première vidéo, d'une durée de 6 minutes, Paul Auster mentionne deux écrivains qui l'ont influencé: Edgar Edgar Allan Poe* et Joyce. Il en apprécie le mélange du réalisme quotidienne et le fantastique. Il aime Chaplin: burlesque et cinéma muet. Il apprécie le génie de Jean Renoir. Dans La grande illusion: imagination tendre, image de solitude et conséquences meurtrières de la guerre sur les gens innocents. Il dit un mot de Seul dans le noir: un roman plus actuel; il tient à ce livre, beaucoup. Et le baseball, bien sûr. Une courte entrevue qui en dit long, menée intelligemment, avec dessin, images, et ... l'écrivain. http://www.youtube.com/watch?v=OseyZfII6Qo
La deuxième vidéo, d'une durée de 11 minutes, porte essentiellement sur Seul dans le noir. La solitude? «Même quand on est seul, on n'est pas seul; on est habité par les autres.», dit Paul Auster. L'animatrice, Florance Nolville, relève qu'on trouve dans ce roman, comme dans les autres: fiction et réalité, humour et sérieux. Quant à moi, je dirais plutôt: autodérision de la part d'August Brill, le grand-père, et ironie. Je crois que c'est plus juste. Et du sérieux: il n'en manque pas... Paul Auster raconte une anecdote qui vaut son poids d'or et répond à la question: comment est-il venu à l'écriture. À noter la fine observation de l'animatrice. Décidément, le baseball mène à tout... Qui l'eût cru? http://www.wat.tv/video/monde-livres-22-janvier-2009-17yz2_16vy8_.html

mardi 14 avril 2009

Extraits de Seul dans le noir

Voici deux extraits tirés de Seul dans le noir, publiés chez Actes Sud/Leméac, suivis d'un bref commentaire. Bonne lecture!

«Je l'ai mis dans un trou. Ça me semblait un bon début, une façon prometteuse de mettre les choses en train. Mettre un homme endormi dans un trou et voir ce qui se passe quand il se réveille et tente d'en sortir. Je parle d'un grand trou dans le sol, profond de près de trois mètres, creusé de manière à former un cercle parfait, avec des parois lisses en argile dense et solidement tassée, si dures que leur surface a la consistance de la terre cuite, voire du verre. C'est dire que, lorsqu'il aura ouvert les yeux, l'homme dans le trou sera incapable de s'en extirper. A moins qu'il ne dispose d'un équipement d'alpiniste - un marteau et des pitons d'acier, par exemple, ou une corde qui lui permettrait de s'arrimer à un arbre proche - mais cet homme n'est pas équipé et, une fois qu'il aura repris conscience, il comprendra la gravité de sa situation.
Et c'est ce qui se passe. L'homme revient à lui et se découvre sur le dos, les yeux levés vers le ciel vespéral sans nuages. Il s'appelle Owen Brick, et il n'a aucune idée de la façon dont il est arrivé à cet endroit, aucun souvenir d'être tombé dans ce trou cyclindrique dont il évalue le diamètre à un peu moins de quatre mètres. Il s'assied. A sa grande surprise, il est revêtu d'un uniforme militaire en gros drap grisâtre. Il a un calot sur la tête et aux pieds une paire de bottines de cuir noir patinées, lacées au-dessus de la cheville avec un double noeud bien serré. Il y a, sur chaque manche du blouson, deux galons indiquant que l'uniforme appartient à quelqu'un qui a le grade de caporal. Cet individu pourrait être Owen Brick, mais l'homme dans le trou, dont le nom est Owen Brick, ne se souvient pas d'avoir servi dans l'armée ni d'avoir combattu dans une guerre à quelque moment de sa vie que ce soit. (..) Extrait tiré des pages 12 et 13.

«Une porte vient de s'ouvrir à l'étage, et j'entens des pas dans le couloir. Miriam ou Katya, je ne saurais dire laquelle. La porte de la salle de bains s'ouvre et se referme ; faiblement, très faiblement, je discerne la petite musique familière du filet d'urine s'écoulant sur l'eau, mais celle qui se trouve là est assez attentive pour ne pas tirer la chasse et risquer d'éveiller la maisonnée, même si les deux tiers de ses membres ne dorment pas. Ensuite la porte de la salle de bains s'ouvre, et de nouveau, quelqu'un marche à pas légers dans le couloir et referme la porte d'une chambre à coucher. Si je devais choisir, je dirais que c'était Katya. (...)» Extrait tiré de la page 21.

Commentaire. Ainsi alterne le roman entre l'histoire inventée et la vie quotidienne et les souvenirs qui refont, inévitablement, surface. Le récit, comme vous le constatez, est rendu avec précision. On se pense dans la tête d'August, et dans celle de ses personnages. On vit avec lui et ses personnages. Un monde étrange à plusieurs dimensions...

vendredi 10 avril 2009

Et ce monde étrange continue de tourner

Seul dans le noir, de Paul Auster, Traduit de l'américain par Christine Leboeuf , Éditions Actes Sud/Leméac, 182 pages.

«Seul dans le noir, je tourne et retourne le monde dans ma tête tout en m'efforçant de venir à bout d'une insomnie, une de plus, une nuit blanche de plus dans le grand désert américain. À l'étage, ma fille et ma petite-fille sont endormies, seules, elles aussi, chacune dans sa chambre: Miriam, quarante-sept ans, ma fille unique, qui dort seule depuis cinq ans, et Katya, vingt-trois ans, la fille unique de Miriam, qui a dormi quelque temps avec un jeune homme du nom de Titus Small mais Titus est mort et maintenant Katya dort seule avec son coeur brisé.» Ainsi commence le roman.Ce court paragraphe situe le contexte de l'histoire, cerne les personnages, donne le ton.

La nuit, pour tromper son insomnie et éviter de penser à sa vie passée, le vieil homme, August Brill, rendu infirme par un accident de voiture, imagine des histoires.Une nuit, il invente une histoire d'une guerre civile américaine, qui se déroule dans un monde parallèle. L'anti-héros, Owen Brick, magicien de métier, y est parachuté malgré lui au cours de son sommeil. Il se réveille dans un trou*, les Tours Jumelles sont toujours debout, la guerre en Irak n'a pas eu lieu. Déstabilisé, il se voit confier une mission moralement impossible: tuer l'homme qui invente cette histoire et la fait ainsi advenir. Il s'attend au pire, et le pire arrive!
Le jour, August regarde, en rafale, des films avec Katya, qui veut enfouir les images atroces de l'exécution de Titus qui lui collent à la rétine, sous une couche d'autres films. Dans ce monde réel, le 11 septembre et la guerre en Irak ne sont pas des fictions, ni toutes les autres guerres avec leur lot de misères humaines et d'exactions. Miriam, elle, se réfugie dans l'écriture: une biographie de Rose Hawthorne.

Ce roman est une catharsis. Avant tout, pour l'auteur et les Américains, mais aussi pour nous tous qui assistons, impuissants, aux atrocités de la guerre, et qui nous nous souvenons de celles du passé. Paul Auster nous rafraîchit la mémoire (tout comme Michel Quint). De sa fenêtre, il a vu l'explosion des Tours; ce jour-là, sa fille devait passer près d'elles, à l'heure de l'explosion; pendant des jours, son quartier a été envahi par la fumée. Nous avons vu les Tours exploser, des occupants sauter dans le vide, etendu des cris de détresse, des pleurs, nous avons vu le trou béant. Un traumatisme, une onde de choc: sédormais, nous savons que nous sommes vulnérables.

La fuite en avant d'August, Miriam et Katya illustrent bien la dérobade face aux dures réalités de la vie: mortalité, divorce, assassinat. Chacun, à sa manière vit à côté de ses pompes. On se reconnaît dans l'un ou l'autre de ces personnages. En effet, à un moment ou l'autre, on voudrait «fuir, s'éfuir, s'enfuir»** À la fin, le vieil homme sera libéré de lui-même et du poids de son passé. L'espoir en des jours meilleurs pour le grand-père, sa fille et sa petite-fille poindra au petit matin. Le sortilège sera rompu par la parole. Et alors, la lumière chassera les ténébres.

Ce roman, marqué par l'Histoire en écho avec la vie quotidienne, nous interpelle. C'est un roman unique, troublant, qui saura vous surprendre et vous émouvoir. En le lisant, vous en découvrirez les subtilités et vous serez touché par la compassion qui s'en dégage.
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*Comme dans Effroyables jardins de Michel Quint; mais là, c'était le monde réel.
**Expression tirée de La Grande Tribu de Victor-Lévy Beaulieu.

mercredi 8 avril 2009

Paul et François à La Grande Librairie

Le 20 janvier, sur Littéranaute, je vous disais tout le bien que je pensais de l'émission La Grande librairie, animée par François Busnel, que l'on peut voir en vidéo, à son gré. L'émission entière du 15 janvier 2009 est consacrée à Paul Auster, dont je présenterai, sur ce blogue, deux livres: Seul dans le noir et Dans le scriptorium.

Une véritable entrevue d'écrivain, sans papotage. Les événements de la vie privée sont évoqués en rapport avec l'œuvre; par exemple, la mort de son père, la maladie de son fils. François Busnel pose des questions pertinentes -comme à l'accoutumée, et Paul Auster y répond directement et succinctement, sans s'égarer dans des détails. Il est question des deux livres sus-mentionnés, de ses influences littéraires, de son écriture, ... et aussi de cinéma, car Paul Auster a écrit des scénarios et réalisé des films.
Allez à la rencontre de Paul Auster, l'écrivain, l'homme et le citoyen: franc, intelligent, sensible, et d'une grande simplicité.
http://www.france5.fr/la-grande-librairie/index.php?page=article&numsite=1403&id_rubrique=1406&id_article=6707