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mardi 24 février 2009

Qui êtes-vous... Michel Quint?

Dans le blogue intitulé Michel Quint en deux temps (Littéranaute, billet du 21 janvier 2009), je mentionnais qu'avant Effroyables Jardins Michel Quint était un auteur de polars et de pièces de théâtre talentueux mais peu connu, mais que, depuis ce premier roman, il est devenu un romancier célèbre. C'est peu dire d'un auteur...

Le texte le plus éclairant pour répondre à la question en titre, je la tire de la dédicace de son livre Effroyables Jardins: «À la mémoire de mon grand-père Leprêtre, ancien combattant de Verdun, mineur de fond, et à celle de mon père, ancien résistant, professeur, qui m'ont ouvert en grand la mémoire de l'horreur et fait pourtant apprendre la langue allemande, parce qu'ils sentaient bien que le manichéisme en histoire est une sottise.»

Une mémoire douloureuse, et intime, de la Grande Guerre et de la Seconde guerre mondiale inscrite au sein même de sa famille dont, on peut le déduire, tous ses membres, leurs proches et leurs amis ont souffert dans leur quotidienneté, des années durant.
Douloureuse, mais non revancharde, comme le démontrent ses deux romans Effroyables Jardins et Max.

mercredi 18 février 2009

Ainsi commence Max -le roman, par la voix d'Agathe

«Je suis entrée aux enfers par une rue en pente. Elle coupait net le premier pâté de maisons du village comme la lame étroite, brûlante de soleil, d'un petit couteau oublié à la fin d'une partie de campagne au cœur d'une pomme trop mûre. Au bout, là où elle s'étrécissait en point, on entamait à droite une grimpée qui s'enroulait jusqu'au centre, avec ses commerces tassés autour d'un noyau d'une place ovale, gros fruit grumeleux de gravier blond. Au-delà passé l'église aux épaules d'hercule forain, on dévalait au vieux cimetière par des venelles ou les habitations boitaient bas. Je le savais pour être venue une seule fois, à Noël 42, dans une demeure campagnarde et y avoir laissé, entre des draps parfumés de lavande, sous la suspension de la cuisine, au détour de chaque couloir, contre les portes de chaque pièce, de la chambre, au jardin amidonné d'hiver oui, y avoir laissé tout ce que j'avais aux lèvres de baisers frais, et d'amour. Après le cimetière, les champs prenaient leurs aises d'un seul élan, allaient s'exténuer aux contreforts de collines crépues avant les monts du Forez. Tout ça se tenait serré dans la paume ouverte d'une vallée molle et devait être dans des nuances de vert, de gris aussi pour les murs et les chaussées et de rouge sang séché pour les tuiles, qui allaient bien avec la lumière jaune de juin et la chaleur versée là-dessus à plein baquets. Le ciel n'existait plus, totalement consumé, avec juste un mince liséré de cendres à l'horizon. Peut-être qu'un peintre aurait pu tirer quelque chose de ce monde pétrifié. À supposer qu'il en passe un par ici, à l'écart de la route. L'unique que j'aie connu, mon ami Jacques Martel, j'aurais pu l'amener dessiné ce calme, il aurait aimé. Si seulement on lui avait laissé sa jeunesse…»

Les trois points de suspension contiennent, à aux seuls et dans leur simplicité désarmante, toute l'indicible affliction d'Agathe, tout son accablement. Au moment où Agathe commence ainsi son récit, elle est à Lyon en juin 45, un dimanche. Elle s'avance, par les rues désertes, vers la place au centre du village. Intriguée par la clameur de la foule, elle imagine une fête votive, un événement sportif. Elle a tout faux! Elle débouchera sur un spectacle qui la ramènera aux enfers. Et qui lui fera revivre ce qu'elle a vécu de janvier 43 à juin 45. En alternance, Jacques Martel, alias Max, alias Jean Moulin, racontera cette période de sa vie, en autant qu'on puisse appeler ça une vie...

Extraits de Max, de Michel, publié aux Éditions Perrin.

vendredi 13 février 2009

L’humanité nue

Max

Michel Quint, Éditions Perrin (collection Singulier), 243 pages.

‹‹Qu'on me pardonne de faire de Jean Moulin un héros de roman››, écrit l'auteur dans l'Avertissement qu'il faut lire attentivement.

Le destin de Jean Moulin (1899-1943), l'homme de chair et d'os, le préfet, est intimement lié au Mouvement de la Résistance et aux années douloureuses, et longues, de l'Occupation allemande. Jean Moulin, un fils et un frère aimant, un homme qui aime les femmes avec une tendresse touchante. Ce roman est basé sur des faits historiques avérés, des personnes ayant réellement existé, des personnages prenant vie sur ces derniers et des personnages inventés de toutes pièces : voilà le filigrane de ce roman puissant. D'où les précautions de l'auteur et l'utilisation de pseudonymes et de sigles désignant des groupes ou des organisations.

On entre dans ce roman avec respect; on le lit, accroché au suspense; on est soufflé par la fin; on en sort le cœur gros de compassion, des larmes chaudes coulant sur les joues. On se surprend à garder le livre dans ses mains comme si on voulait, au-delà de l'espace et du temps, serrer contre soi ces êtres souffrants pour les consoler. L'instant d'après, on réalise que ce sont les personnages d'un roman. Un roman remarquable! Vous y rencontrerez l'humanité nue: l'homme dans ce qu'il a de plus abject et de plus sublime. Une écriture éblouissante! Monologues et dialogues (à l'intérieur de ceux-ci) sonnent vrai, les sentiments sont rendus avec sobriété. Un texte dont la beauté et la luminosité contrebalancent l'atmosphère lourde qui pèse sur la vie incertaine de chacun. Cependant, il est possible que votre lecture du roman soit, parfois, entravée par les sigles –trop nombreux*- parsemant le texte. Je vous le dis, passez outre: c'est une rançon bien faible en regard de la qualité de ce roman exceptionnel.

*Ironiquement, il en manque un, à la p.35: SFIO, Section française de l'internationale ouvrière, qui deviendra, en 1969, le Parti Socialiste. Plus tard, François Mitterand en sera le Premier secrétaire.Source: http://www.linternaute.com/histoire/motcle/1821/a/1/1/sfio.shtml / Disponible chez Gallimard Montréal, 31,95$, et dans d'autres librairies. http://www.gallimardmontreal.com/books/view/199792

//Note. Tout de même, haro sur l'éditeur qui a oublié que nul ne peut servir deux lectorats en même temps: le connaisseur et l'autre, c.-à-d. vous et moi, et bien d'autres! Il ne lui est pas venu l'idée de placer des notes en bas de page, comme à la p.171? Ou d'écrire en toutes lettres le nom des groupes ou organisations, comme à la p.36, Conseil de la Résistance au lieu de CR? De plus, il est désolant que ce texte fort soit entaché de bavures. De la part d'un éditeur sérieux, on est en droit de s'attendre à une impression impeccable.