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mercredi 18 février 2009

Ainsi commence Max -le roman, par la voix d'Agathe

«Je suis entrée aux enfers par une rue en pente. Elle coupait net le premier pâté de maisons du village comme la lame étroite, brûlante de soleil, d'un petit couteau oublié à la fin d'une partie de campagne au cœur d'une pomme trop mûre. Au bout, là où elle s'étrécissait en point, on entamait à droite une grimpée qui s'enroulait jusqu'au centre, avec ses commerces tassés autour d'un noyau d'une place ovale, gros fruit grumeleux de gravier blond. Au-delà passé l'église aux épaules d'hercule forain, on dévalait au vieux cimetière par des venelles ou les habitations boitaient bas. Je le savais pour être venue une seule fois, à Noël 42, dans une demeure campagnarde et y avoir laissé, entre des draps parfumés de lavande, sous la suspension de la cuisine, au détour de chaque couloir, contre les portes de chaque pièce, de la chambre, au jardin amidonné d'hiver oui, y avoir laissé tout ce que j'avais aux lèvres de baisers frais, et d'amour. Après le cimetière, les champs prenaient leurs aises d'un seul élan, allaient s'exténuer aux contreforts de collines crépues avant les monts du Forez. Tout ça se tenait serré dans la paume ouverte d'une vallée molle et devait être dans des nuances de vert, de gris aussi pour les murs et les chaussées et de rouge sang séché pour les tuiles, qui allaient bien avec la lumière jaune de juin et la chaleur versée là-dessus à plein baquets. Le ciel n'existait plus, totalement consumé, avec juste un mince liséré de cendres à l'horizon. Peut-être qu'un peintre aurait pu tirer quelque chose de ce monde pétrifié. À supposer qu'il en passe un par ici, à l'écart de la route. L'unique que j'aie connu, mon ami Jacques Martel, j'aurais pu l'amener dessiné ce calme, il aurait aimé. Si seulement on lui avait laissé sa jeunesse…»

Les trois points de suspension contiennent, à aux seuls et dans leur simplicité désarmante, toute l'indicible affliction d'Agathe, tout son accablement. Au moment où Agathe commence ainsi son récit, elle est à Lyon en juin 45, un dimanche. Elle s'avance, par les rues désertes, vers la place au centre du village. Intriguée par la clameur de la foule, elle imagine une fête votive, un événement sportif. Elle a tout faux! Elle débouchera sur un spectacle qui la ramènera aux enfers. Et qui lui fera revivre ce qu'elle a vécu de janvier 43 à juin 45. En alternance, Jacques Martel, alias Max, alias Jean Moulin, racontera cette période de sa vie, en autant qu'on puisse appeler ça une vie...

Extraits de Max, de Michel, publié aux Éditions Perrin.

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