Tel Démocrite dans sa cabane, Michel Onfray s'est replié dans dans son jardin de l'Orne. «Il y veille, dit Jérôme Garcin, à la bonne santé de ses fleurs et sur un être très cher en mauvaise santé.» Avant de présenter des extraits de «Le Recours aux forêts», disons un mot sur le sens de ce titre du livre afin de mieux saisir la portée du propos. Le dernier livre de Michel Onfray s'inspire d'une lointaine tradition islandaise aussi bien que de la pensée de Démocrite. Michel Onfray, qui descend de lointains Onfroi danois et conquérants, écrit:
Côté pile, Le Recours aux forêts renvoie à l’Islande et à une tradition juridique médiévale... Côté face, il s’enracine dans la terre normande du jardin de ma maison, dans mon village natal, celui de ma famille enracinée dans cet humus depuis dix siècles. Parfum de terre généalogique non loin du cercle polaire et odeur de glèbe génésique dont je viens et vers laquelle je me dirige pour m’y fondre un jour avant dispersion dans le cosmos bruissant de poussières mortes. Mélange de fragrances telluriques à l’intersection d’un lignage et d’un destin, au croisement d’un nom propre, je suis cette promesse de poussières mortes.
Un texte fort où chaque mot vaut son pesant d'or.
Un texte qui résonne au creux de l'oreille.
Un texte en résonance avec le monde d'avant-hier, d'hier, et d'aujourd'hui.
Un texte qui résonne au creux de l'oreille.
Un texte en résonance avec le monde d'avant-hier, d'hier, et d'aujourd'hui.
Un texte qui vous touchera... il ne peut laisser personne indifférent. Lisez-le jusqu'au bout... et vous verrez. Notons que les extraits sont une gracieuseté des Éditions Galilée, qu'il faut remercier pour leur générosité*.
Extraits. «Le Recours aux forêts», de Michel Onfray
La mort sent une odeur fade,
Je sens cette odeur fade.
C’est l’heure du recours aux forêts…
J’ai vécu assez pour en savoir assez.
Aux deux tiers de sa vie si l’on ne sait pas
ce que contient le dernier tiers
C’est qu’on n’a rien appris,
Donc qu’on n’apprendra jamais,
Donc qu’on n’apprendra plus.
Je sais les hommes,
Assez même pour pouvoir dire : j’en sais
assez pour haïr les hommes.
Mais je ne parviens pas à haïr.
Trop d’énergie perdue,
Trop d’énergie gâchée.
Pas assez de haine au ventre,
Pas de haine du tout, même.
Je pourrais pleurer comme Héraclite,
Mais je veux réserver les larmes pour ce qui
le mérite.
La folie des hommes ne mérite pas qu’on
pleure.
La mort de ceux qu’on aime, voilà les seules
justifications des larmes.
Je veux bien plutôt rire comme Démocrite
de la folie des hommes
Comme lui, rire
Comme lui, vivre au fond d’une cabane
dans un jardin
Tourner le dos aux hommes,
Sans amertume,
Sans fâcherie,
Sans colère,
Sans haine, bien sûr,
Sans acrimonie,
Sans bile noire.
Je veux simplement en fi nir avec le commerce
de la folie
De la sottise
De la bêtise
De la noirceur des hommes
De leur méchanceté.
Je veux passer le restant de mes jours en
ma compagnie.
seule vraie compagnie:
Celle de soi…
J’ai vu le monde
Sous toutes les latitudes.
C’est une même folie:
Passions de guerre
Et charniers d’épidémies
Brasiers d’incendies
Vols, meurtres et massacres.
Rouge ou séché : du sang partout
Depuis toujours,
Des épées, des lames, du poison, des couteaux
affilés, des dagues
Des cordes pour les potences
Du chanvre pour tous les liens de toutes
les cordes
Des clous pour supplicier.
Avant-hier,
Des crucifiés sur une voie romaine
Des dépecés de la Saint-Barthélemy
Des couteaux chrétiens pour égorger des
cous chrétiens.
Hier,
Des gazés dans des usines à mort polonaises
Des décapités dans les forêts africaines
Des carotides tranchées pour le marxisme
Des fours crématoires pour le nazisme
Des famines pour le communisme
Des viols et des garrots pour le fascisme.
Aujourd’hui,
Des pendus et des lapidés pour le Coran
Des balles ajustées dans la tête pour le
Talmud
On n’écorche plus pour la Bible
Parce qu’on n’en a plus les moyens
Sinon, on écorcherait ce jour comme on a
écorché mille ans…
La bête tue pour manger
Repue, elle ne tue plus
Les hommes ne sont jamais repus
Ils tuent sans relâche
Ils inventent des machines à tuer
Ils raffinent.
Le chien vaut mieux que l’homme…
Diogène avait raison.
Les comètes passent
Les astres tournent
Le cosmos tremble
Les planètes dansent
Mais c’est toujours un même long et interminable
cri.
Les solstices et les équinoxes se remplacent
Mais nul repos, nul répit pour la mort que
les hommes infligent aux hommes.
L’univers baigne dans le sang.
L’éternel retour des hommes
C’est l’éternel retour du mal…
J’ai vu les puissants
Sans jamais manger à leur table.
Ici les riches se gobergent
Là les pauvres meurent de faim
Ici les palais, là les taudis
Ceci expliquant cela.
L’or brille ici, la crasse pue là
Le diamant scintille ici, la tourbe fermente
là
L’argent triomphe ici, la faim tue là
L’un meurt de trop manger
L’autre meurt faute d’avoir mangé
L’un creuse sa tombe avec ses dents
L’autre vit chaque jour dans un tombeau.
Les puissants volent
Les misérables laissent faire les puissants.
J’ai vu des innocents, des inconscients
Qui, devant leur tombe, au cimetière
Continuent à se mentir à eux-mêmes
Ils jouent avec des osselets
Ils se divertissent d’un rien
Ils se passionnent pour des jeux d’enfants
Ils veulent des honneurs
Ils veulent de l’argent
Ils veulent des richesses
Rien d’autre ne les intéresse.
Ils veulent des décorations
Ils tueraient père et mère pour un ruban
Ils trahiraient l’humanité pour un hochet
Ils vendraient leur âme pour un colifichet.
Vanités et sottises
Friponnerie et filouterie
Un peu de gloire
Une âme damnée pour obtenir la faveur de
leurs contemporains.
Tous nos gouvernants sont des Caligula.
Je n’en ai vu aucun se souciant de ses sujets
De son peuple
Tous trahissent leurs promesses
Tous promettent la lune
Tous se renient
Tous ont tué, tuent ou tueront pour asseoir
leur pouvoir ridicule.
Après avoir tout fait pour parvenir au
trône
Ils font tout pour y rester
Cabinets secrets
Éminences grises
Milices de l’ombre
Tueurs à gages
Cadavres dans le placard
Pendus dans l’arrière-chambre
Égorgés dans les caves
Le prince n’a pas assez de deux mains pour
étouffer…
J’ai vu des philosophes
De loin
Sans jamais partager leurs tables
Car les philosophes me font rire plus encore
que les autres
Mon maître, Lucien de Samosate, a déjà
tout dit
La plupart donnent des leçons
Se voulant maîtres des autres sans être maîtres
d’eux-mêmes !
Rire de tous ceux-là…
Rire avec les rieurs
Rire et rire encore de ce banquet misérable
de philosophes ridicules…
J’ai vu des gens de Dieu
Plutôt gens de diable…
Des vendeurs de ciel se roulant dans les
bouges
Des cardinaux fascistes
Un pape laissant déporter les Juifs sous ses
fenêtres
Des ayatollahs donnant l’ordre de pendre
les femmes adultères
D’arracher la langue des menteurs
De couper la main des voleurs
De vitrioler le visage des femmes dévoilées
D’effacer leur maquillage au papier de verre
Des imams interdire le cerf-volant aux
enfants
Se réjouir de l’égorgement d’un journaliste
juif
Danser sur les ruines de Manhattan
Condamner à mort celui qui dit la vérité
Appeler à lyncher l’écrivain libre
Lancer une fatwa contre qui dit l’intolérance
de l’intolérant…
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* Psitt! Sous-jacent aux remerciements, un texte «subliminal» s'adresse aux éditeurs... disons radins, et pas trop futés.